Le projet Grand site de valorisation du patrimoine carcassonnais redémarre avec la présentation d’une étude et une large consultation publique. C’est pour moi l’occasion de publier ces quelques réflexions que je viens de transmettre aux responsables du projet.
Constat
Carcassonne est un site mondialement connu mais dont une partie des richesses patrimoniales et historiques n’est pas assez mise en valeur ou reste méconnue comme la mosaïque du château comtal. Les avancées récentes de la recherche restent généralement ignorées du grand public et ne sont pas ou peu prises en compte dans les publications, la muséographie ou les visites guidées. Le produit des fouilles réalisées à Carcassonne dort dans un dépôt archéologique.
Certaines parties du site sont à l’abandon comme la salle basse du logis ouest du château comtal ou certaines tours des remparts dans lesquelles fientes de pigeon et ordures s’accumulent.
Le site ne répond pas toujours aux attentes du public et sa fréquentation à tendance à baisser. La liaison entre la ville basse et la cité commence à se développer mais beaucoup de touristes ignorent encore les richesses de la ville basse.
La Cité a perdu presque tous ses habitants en raison des difficultés d’accès et de la pression immobilière tendant à transformer les dernières maisons en commerces. Des commerçants ont du mal à s’installer faute de place et ceux qui ne sont pas propriétaires doivent jongler avec des baux précaires et des loyers très élevés, ce qui les conduit à développer les produits et services les plus rentables parfois au détriment de la qualité.
Les animations culturelles dans la Cité, la ville et l’agglomération sont riches et diversifiées mais sont dispersés, comme beaucoup d’autres initiatives.
Carcassonne doit faire face à la concurrence d’autres sites, dans un contexte de crise économique, de réduction de la fréquentation et des dépenses.

La « salle des chevaliers » dans la porte Narbonnaise. Un espace magnifique mais sous utilisé.
Objectifs
Le projet Grand site doit prendre en compte les aspects patrimoniaux, environnementaux, sociaux et économique du site à différentes échelles (locale, régionale…). Les objectifs doivent être de mettre en valeur le patrimoine (historique, naturel, archéologique) tout en développant l’activité économique et l’emploi. Ceci en favorisant le maintien de résidents dans la Cité et ses abords car le site ne doit pas être seulement un monument et un centre commercial pour touristes. Le site doit être un lieu de vie ouvert à tous.
Tout cela doit se faire en travaillant en synergie entre les différents acteurs, en s’appuyant sur les initiatives et richesses existantes, dans le but de proposer une offre culturelle et économique plus performante, de meilleure qualité et plus cohérente. La valorisation et l’exploitation du site doivent s’envisager en réseau avec d’autres sites de la région comme les « Châteaux cathares », les abbayes etc.
Moyens
Pour réaliser ces objectifs, outre l’étude et les actions de concertation en cours il conviendrait de de créer deux conseils permanents, à réunir plusieurs fois par an.
Un conseil scientifique
D’abord un conseil scientifique comprenant des représentants des institutions et des chercheurs ayant travaillé sur Carcassonne ainsi que d’autres personnalités choisies pour leurs compétences. Le rôle de ce conseil serait de guider le syndicat Grand site et ses membres (la mairie de Carcassonne, le Centre des monuments nationaux) dans leurs actions de recherche, de muséographie, de restauration, de mise en valeur, de publications…
Les membres institutionnels du conseil pourrait être les services culturels de la mairie et du Centre des monuments nationaux, le musée des Beaux-Arts de Carcassonne, les Archives départementales de l’Aude, la médiathèque de l’agglomération, le Service départemental de l’Architecture et du patrimoine, le Service régional de l’Archéologie… Les chercheurs pourraient être des historiens, archéologues, ethnologues membres des associations suivantes qui s’impliquent régulièrement par leurs conférences et publications sur Carcassonne : Académie des arts et sciences de Carcassonne, Amicale laïque de Carcassonne, Amis de la ville et de la Cité de Carcassonne, Association d’études du catharisme – René Nelli, Centre d’archéologie médiévale du Languedoc, Centre Joé Bousquet et son temps, Société d’études scientifiques de l’Aude…
Un conseil réunissant les personnes habitant ou travaillant dans la Cité et ses abords.
Suite à la suggestion de René Sourou proposant la création d’une « Commune libre » de la Cité à l’image de qui se fait à Montmartre. Je rappelle que jusqu’à la Révolution la ville basse et la cité formaient deux municipalités (on disait alors « communautés ») distinctes. Chaque communauté était dirigée collégialement par plusieurs consuls (équivalent de nos conseillers municipaux). Les consuls de Carcassonne portaient des robes comme celle des magistrats, mais de couleur rouge avec emmanchure noire. Les consuls de la Cité siégeaient dans la tour Narbonnaise. On peut donc associer l’idée de René Sourou avec de la reconstitution historique, à l’image de ce qui se fait à Toulouse avec les Capitouls.
Un administrateur du château et des remparts de Carcassonne disponible et compétent
Contrairement à Pierre Embry, premier conservateur de la Cité de Carcassonne entre 1925 et 1959, les derniers administrateurs qui se sont succédés à la tête du monument ne sont pas des spécialistes et ne sont pas beaucoup investi dans la vie locale faute de temps.
Pour des raisons d’efficacité le nouvel administrateur devrait être choisi parmi les spécialistes (historiens, archéologues, ethnologues, archivistes…) connus pour leurs recherches sur la Cité et la ville de Carcassonne. Il faut quelqu’un de dynamique, disponible qui connaisse les dossiers et qui soit prêt à travailler en synergie avec les acteurs locaux (mairie, agglomération, institutions culturelles, associations, habitants et commerçants de la Cité, chambre de commerce, chambre de l’agriculture…)
Le choix de l’administrateur pourrait se faire sur appel à candidature par un jury comprenant, outre les représentants du Ministère de la Culture et du Centre des Monuments nationaux, des élus locaux et des spécialistes locaux.
Actions

La nouvelle statue de Dame Carcas vue de profil
Un projet fédérateur autour de Dame Carcas
La légende de Dame Carcas est presque aussi connue que la Cité de Carcassonne. Elle constitue à la fois un riche patrimoine immatériel, un signe identitaire dans lequel les Carcassonnais se reconnaissent, un objet d’exploitation commercial. Cependant la richesse de ce patrimoine est méconnue et son exploitation très insuffisante. Pourtant. Le personnage de Dame Carcas pourrait être utilisé pour fédérer un certain nombre de projets culturels, sociaux et commerciaux.
La légende peut contribuer nouveau classement de Carcassonne au patrimoine mondial. La diffusion de la Légende de Dame Carcas par les chemins de Saint-Jacques au Moyen Âge donne des arguments scientifiques à un rattachement de Carcassonne aux Chemins de Saint-Jacques classés au patrimoine mondial de l’humanité. L’originalité, la richesse et le caractère vivant de la Légende permet également de monter un dossier de classement de la Légende au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de L’UNESCO.
La légende peut contribuer à la cohésion sociale des habitants de Carcassonne rassemblés autour d’une identité, de valeurs et de traditions communes. Car la Légende de Dame Carcas a inspiré le légendaire européen et arabe.
Dame et son cochon pourraient constituer la mascotte de la ville. Cette mascotte pourrait servir à identifier des produits et services commerciaux de qualité et faisant appel majoritairement aux produits et à la main d’œuvre régionale. La légende pourrait servir de thème à de nombreux évènements culturels (pièces de théâtre, ateliers contes pour enfants, concours d’œuvre d’arts, reconstitutions historiques, jeux de pistes et de rôle etc.
On trouvera dans mon étude à paraître : Dame Carcas, une légende épique occitane, toute la documentation et les pistes nécessaires à ce projet.
Château comtal et remparts inclus dans le circuit de visite
- Aménagement d’une salle d’exposition / auditorium dans la salle basse voûtée du logis ouest.
- Ouverture plus tardive pour s’adapter aux visiteurs. Ouverture au public en visite libre de la mosaïque située sous la cour.
- Réorganisation de la muséographie en cohérence et complémentarité avec le projet de musée en ville basse. (Voir ci-dessous). Evoquer la vie quotidienne dans ces espaces par une scénographie à la fois ludique et instructive. Par exemple dans la tour du Trésau qui abritait le trésor et les archives royales pourquoi ne pas reconstituer une armoire ou un sac suspendu où les visiteurs devraient retrouver un document pour poursuivre la visite. Et un coffre rempli de sous melgoriens dont les visiteurs soulèveraient le couvercle, ce qui déclencherait une voix disant : « Halte là, ne touchez pas au trésor du roi. Il sert à payer les garnisons de la sénéchaussée, les maçons qui entretiennent les forteresses royales… »
- Commercialisation de billets incitant les visiteurs à fréquenter d’autres sites de la ville et du département (billets donnant droit à des réductions sur d’autres sites, forfaits multi-sites etc.)
Un espace culturel à la Trivalle
Utiliser l’ancienne manufacture de la rue Trivalle et les locaux de la cité administrative pour réaliser un espace culturel comprenant l’office de tourisme, les billetteries du festival et du château comtal, un musée d’histoire et d’archéologie et, si la place est suffisante, une médiathèque abritant les fonds patrimoniaux du réseau de médiathèques et les archives de l’agglomération et enfin le dépôt archéologique (actuellement rue de l’Olivier.). Les associations culturelles pourraient y être également abritées.
L’avantage de réunir tous ces services en un seul lieu est multiple : économie d’échelle en termes de personnel et de locaux ; regrouper en un seul lieu les acteurs, les ressources et les activités autour du patrimoine culturel carcassonnais pour un travail en synergie ; donner plus de cohérence et plus de visibilité à l’offre en matière de tourisme culturel ; permettre aux visiteurs d’approfondir sa connaissance du patrimoine carcassonnais etc.
Le bâtiment est idéalement situé, sur un axe patrimonial entre la Cité et la ville basse emprunté par de nombreux piétons, facilement accessible en bus ou en car, à proximité de plusieurs parking existants ou à développer (notamment dans l’île). La proximité des espaces verts de l’île est très intéressante. De plus les bâtiments de la manufacture permettraient de mettre un aspect méconnu de l’histoire de Carcassonne : l’industrie textile.
Le musée doit être constitué à partir des collections du Musée des beaux-Arts, des archives de l’Aude, des fonds patrimoniaux des médiathèques de l’agglomération, du château comtal et du dépôt archéologique. Il doit être aménagé en complémentarité et en liaison avec ces institutions. Il pourrait se développer autour de quelques points forts de l’histoire de Carcassonne et du Carcassès :
- La préhistoire dans l’Aude (en exposant notamment les résultats des fouilles de Jean Guilaine, Dominique Sacchi, Jean Vaquer, Guy Rancoule…).
- L’industrie textile de la Préhistoire à nos jours.
- Le Moyen Âge : féodalité et vie quotidienne sous les Trencavel, le catharisme, la croisade des Albigeois…
- La légende de Dame Carcas.
- La restauration de la Cité.
Lices, fossés, talus et espaces verts
Mise à disposition à des particuliers ou des institutions de certains espaces pour réaliser des jardins potagers à la mode médiévale. Entretien des espaces en herbe par des moutons. C’est écologique et c’est aussi faire de la reconstitution historique. Car du Moyen Âge au XIXe siècle les besoins en pâturages étaient immenses pour nourrir les centaines de milliers de bêtes à laines qui alimentaient l’industrie drapière carcassonnaise et languedocienne. Mise ne place de clôtures de bruyère sur les clôtures métalliques situées en bordure de certaines propriétés.
L’île, les abords de l’Aude et du canal
Le projet « L’Île des jardins extraordinaires » visant à créer une passerelle entre la Cité et la ville basse est tout a fait judicieux. (Voir présentation sur le site de la mairie). Parmi les aménagements je suggère des parcours ludiques et pédagogiques (par exemple sous forme de jeu de piste) pour inciter les jeunes et leurs accompagnateurs à faire la liaison Cité ville basse, à découvrir le patrimoine… On peut aussi faire des labyrinthes ou des massifs reproduisant la topographie de la ville à diverses époques etc.

Tournoi de la Cité, août 2003 – Le seigneur de Minerve à cheval
Animations
Proposer des formations et des conférences en direction des personnes vivant ou travaillant dans la Cité (guides, commerçants…) afin de mettre à jour leurs connaissances et qu’elles puissent relayer ces connaissances.
Proposer des jeux de piste et de rôle appuyés sur l’histoire de la Cité. J’en ai personnellement conçu deux qui ont été testés avec beaucoup de succès auprès d’adultes et d’enfants : l’un autour du siège de Carcassonne mené par Trencavel en 1240, l’autre autour de la révolte des Carcassonnais menée par Bernard Délicieux contre l’Inquisition vers 1300.
Réaliser des mini-débats ou des mini conférences autour du patrimoine et de l’histoire en première partie des spectacles donnés dans la Cité. Exemple : 10 minutes sur Trencavel avant le tournoi des lices ; 10 minutes sur Jean Deschamps avant une pièce dans le théâtre de la Cité. Ces interventions faites par un spécialiste pourraient aussi constituer l’annonce de conférences données à Carcassonne. L’intérêt de ces interventions est de toucher de nouveaux publics.
Commerces et services
Favoriser le maintien ou le développement de commerces en privilégiant l’originalité, les productions locales, les services non présents ou insuffisants (comme une agence postale). Mise à disposition pour cela de locaux désaffectés (maison rue du Plo, certaines tours des remparts…) ou rachat par les acteurs publics de certains bâtiments. Mise à disposition de certaines tours à des associations pour des activités d’animation, d’exposition…
Gauthier LANGLOIS, 20 mai 2013. Mis à jour le 3 juillet 2013.
Voir aussi :
- Le site Internet du syndicat mixte Projet grand site de Carcassonne
- Gauthier Langlois, « Comment aménager l’entrée de la Cité de Carcassonne ? Le passé et l’avenir de l’esplanade du Prado », Paratge, 21 mai 2014.
Bravo pour ces réflexions. Oui les capacités muséographiques du chateau Comtal et de la Cité en Général sont largement sous-exploitées et sont indignes d’un tel patrimoine. Poussière, vétusté et manque d’aménagements des salles peuvent même faire honte. On ne visite pas le Chateau Comtal comme on visite Disneyland. Il faudrait que les autorités ouvrent les yeux sur cette évidence. Enfin, un aménagement esthétique et muséographique et un entretien des lices pourraient également être un plus.
Cordialement Pascal MEURET
Bravo pour cette analyse et ces propositions, j espère que vous serez entendu par les autorités compétentes , donnez des nouvelles sur votre blog des échos que vous pourrez obtenir et por quoi pas lancez une pétition en ligne pour le soutien à ce genre de projet de valorisation de Carcassonne
Proposant moi-même des animations sur des thèmes liés au Moyen-Âge : Blasons – Origines & Créations, frappe de monnaies & commerce au Moyen-Âge, sigillographie ( sceaux & sceaux cachets ), écritures anciennes & calligraphie, Je serais heureux de pouvoir trouver un lieu régulier ( ou plusieurs lieux ), afin de pouvoir héberger ces activités en direction des populations locales ou des visiteurs extérieurs sous forme d’un partenariat avec le service culturel de la ville… C’est ce que je proposais lors de mon séjour à Carcassonne il y a trois années au sein du Musée du Blason – Vitrail. Une relance d’activités pour les groupes autour des thèmes liés à la période du Moyen-Âge serait un premier moyen de faire s’intéresser la population de Carcassonne à ce monument qu’est la Cité – L’été serait propice à prolonger cette action auprès des touristes français & étrangers – Je parle le français, l’anglais & me débrouille pas trop mal en espagnol !
Bonjour,
Depuis 2010, je suis chargé par le pôle culturel d’organiser la fête médiévale de la Cité, fête que je m’efforce de tourner vers l’historicité en invitant des troupes de qualité. Une pérénisation de cette fête en été, voire deux fois dans l’été (juillet et août), ainsi que des moyens adaptés permettrait, de redorer le patrimoine que nous avons en y faisant revivre les grandes heures de l’histoire médiévale de la Cité.
Sur un autre plan, l’installation de nouveaux commerces devrait être soumise à l’approbation des Monuments de France, quand on voit ceux qui s’installent dans la Cité, ça fait parfois pleurer…
Nous sommes nombreux à aimer la cité dans la région et sans vouloir trop m’avancer je pense que beaucoup d’entre-nous seraient prêts à s’investir dans le projet « Grand Site » pour peu qu’on leur demande…
Merci de vos réflexions. Effectivement, il y a beaucoup de bonnes volontés et d’initiatives qui ne demandent qu’à être fédérées.