Un mot d’excuse d’un parent d’élève… signé Hippolyte Taine

     Dans notre métier d’enseignant nous avons l’habitude de recevoir des mots d’excuses de parents d’élèves dont certains sortent de l’ordinaire. Un chef d’établissement en a même récemment publié une compilation. Le mot d’excuse est une pratique peut être aussi ancienne que l’école. Mais ce type de document, témoignage d’une tranche de vie, est rarement conservé. Par chance j’en ai trouvé un vieux de plus de 130 ans en classant les archives familiales. C’est en fait  sa signature, qui est celle d’une personnalité bien connue de ceux qui s’intéressent à l’histoire du XIXe siècle, qui a valu à ce mot d’être conservé.

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     Profitant des vacances je me suis attelé à achever le classement et l’inventaire des archives familiales que m’a prêtées l’un de mes parents éloignés, le petit-fils du sénateur Henri Merlin (1861-1942). Parmi ces archives figure une petite collection d’autographes constitué par le sénateur Merlin et notamment un papier auquel je n’avais guère prêté attention avant de le déchiffrer. Sur un morceau d’une feuille de papier quadrillé d’environ 8 x 11 cm, une personne a  griffonné à la va-vite un mot au crayon : « Mademoiselle, je vous prie de bien vouloir excuser Geneviève mais deux petites cousines étant venu passer quelques jours à Paris et elle n’a pas pu beaucoup travailler ».

Taine1     Au dos de ce papier qui était plié en deux figure l’adresse de la destinataire : « Mademoiselle la directrice du cours 2e ».

     Le peu de soin apporté au mot : l’emploi d’un papier déchiré, l’emploi d’une l’écriture difficilement lisible avec des surcharges et une faute de français (le « et » est superflu), voilà qui ne témoigne pas à priori de grandes qualités littéraires chez l’auteur du mot ni d’un grand respect pour l’enseignant destinataire. Et pourtant ! Si l’on déchiffre la signature on lit un « H » et un « T » majuscules entremêlés suivis des lettres « aine », soit « H. Taine ». Cette écriture et cette signature semblent bien correspondre à celle du philosophe et historien Hippolyte Taine. Pour s’en convaincre on peut comparer le mot avec les pages écrites au crayon de l’un de ses carnets de notes, conservé à la Bibliothèque nationale de France et visible sur le site Gallica : Notes sur Paris. On y retrouve l’écriture rapide et peu soignée qui le caractérise, écriture qui contraste avec l’écriture appliquée de la majorité de ses contemporains. Cette comparaison permet en outre de trouver l’origine du papier quadrillé portant le mot : il s’agit de la moitié inférieure d’une page d’un de ses carnets de notes.

Hippolyte Taine et son chat. Photo antérieure à 1893. Source : Wikipédia.

Hippolyte Taine et son chat. Photo antérieure à 1893. Source : Wikipédia.

     Hippolyte Taine (1828-1893), l’auteur de ce misérable petit mot d’excuse, se fit connaître par son récit de Voyage dans les Pyrénées (1855), puis par ses nombreux écrits philosophiques, littéraires et historiques. On lui doit notamment une Histoire de la littérature anglaise et  une Histoire des Origines de la France contemporaine dans laquelle il critique la Monarchie, la Révolution et l’Empire.

     Quant à l’élève qui n’a pas pu étudier il s’agit de l’un de ses deux enfants, sa fille Geneviève Taine, née en 1869 et décédée en 1911. Son identité figure sur plusieurs arbres généalogiques en ligne du site Geneanet. J’ignore dans quelle école parisienne elle faisait ses études ni à quoi correspond la classe « 2e ». Peut-être la seconde année d’école primaire ? Ce qui situerait son âge autour de sept ans et la date du mot d’excuse vers 1876.

     Taine était sans doute plus préoccupé par ses recherches que de témoigner du respect à l’institutrice de sa fille. Pourtant celle-ci conserva le mot d’excuse. Et c’est peut-être elle qui l’offrit à Henri Merlin, dont la fille, Amélie faisait peut-être ses études vers 1900 dans la même école que Geneviève Taine un quart de siècle plus tôt.

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10 commentaires pour Un mot d’excuse d’un parent d’élève… signé Hippolyte Taine

  1. J.J. dit :

    Ce document permet également de constater que déjà, au XIXème siècle, les parents avaient bien peu de considération pour les enseignants : monsieur Taine aurait pu, malgré ses forts nombreuses et passionnantes occupations, avoir la courtoisie de s’appliquer à écrire lisiblement et utiliser une feuille de papier à lettre convenable, plutôt de d’employer quelque déchet de papier destiné à la corbeille.

    Cela ne plaide pas beaucoup en faveur du personnage qui se conduisit en la circonstance comme le plus rustres des parents.

    Un enseignant retraité habitué à recevoir des mots d’excuses gribouillés sur le coin de la table de la cuisine de la part de personnages moins célèbres.

  2. Le Grand dit :

    J’en ai reçu aussi. Exemple : sur la marge blanche d’un journal et écrit sur une très longue ligne. J’aurais souhaiter conserver les mots d’excuse mais ils devaient rester dans le registre d’appel qui lui-même était archivé et conservé.

  3. Gabrielle dit :

    Il s’agit peut être du brouillon qui est resté à la maison. L’original ayant été remis à l’institutrice.

    L’un de mes cousins, père de 5 enfants, a eu la surprise de lire sur le carnet de correspondance de son fils que, celui-ci avait rédigé et signé un petit mot d’excuse. Ensuite, pour que son fils ne se fasse pas réprimander par son instituteur, mon cousin imitait l’écriture et la signature de son fils.

    • Je me suis posé la question d’un brouillon. Mais d’une part la destination d’un brouillon est de finir à la poubelle. Je ne vois pas comment il aurait pu finir dans une collection d’autographes. A moins que quelqu’un faisait les poubelles de Taine. D’autre part le papier a été plié en deux pour mettre l’adresse du destinataire. Il semble donc avoir servi.

  4. maryse dit :

    Au sujet des mots d’excuses, mes parents humbles, mettaient tout le respect (papier, orthographe, écriture) pour informer notre instituteur de notre absence (soeur et frères). Chez les petites gens, il y avait un savoir vivre.

    • J.J. dit :

      C’est ausi dans ce milieu que l’on trouve souvent les gens plus généreux et solidaires.
      Voyez qui donne pour les Restaus du Coeur, et qui les gère.

  5. Boringe dit :

    Je suis fort étonnée de l’attribution de ce document à Hippolyte Taine : ce n’est ni son écriture ni sa signature. Par ailleurs, Geneviève Taine n’avait pas deux cousines, mais une seule, Madeleine.
    Il existe d’autres familles Taine que celle de l’historien, et il serait intéressant de mener l’enquête pour voir si d’autres Geneviève Taine ont existé.

    • Bonsoir, Geneviève avait bien deux cousines germaines du côté paternel : Madelaine Chevrillon, née en 1865, fille de Sophie Taine et Marguerite Letorsay, née en 1854, fille de Virginie Taine.
      Voir https://gw.geneanet.org/pdelaubier?lang=fr&pz=pierre&nz=de+laubier&ocz=0&p=virginie&n=taine
      Mais il ne s’agit pas nécessairement de cousines germaines du côté paternel.

      • Jean-Claude GAPIN-FREHEL dit :

        Bonjour, Je confirme qu’il ne s’agit ni de l’écriture, ni en toute vraisemblance de la personne d’Hippolyte Taine: je m’étonne qu’on puisse confondre l’écriture adulte de taine lorsqu’il rédigeait ses notes en hâte et cette écriture d’enfant. Ni l’écriture, ni le style ni les dates ni les éléments familiaux ne coincident. Bien cordialement

  6. Boringe dit :

    Bonjour,
    Je vous remercie d’avoir précisé le cousinage paternel de Geneviève Taine. Cependant, je ne vois pas Marguerite Letorsay être qualifiée de « petite » cousine : elle a quinze ans de plus que Geneviève et avait largement plus de 20 ans à la date du billet que vous présentez.
    Du côté maternel, il n’y a pas de cousines germaines, Madame Taine étant fille unique.
    Permettez-moi d’insister : ni l’écriture ni la signature ne sont de Taine.

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