Bélibaste l’imparfait cathare né au pied de Bugarach et la fin d’un monde

     Profitant de l’agitation médiatique en cette fin décembre 2012 rappelons que le plus célèbre des parfaits cathares est né aux pieds de la montagne de Bugarach et que sa disparition signe la fin d’un monde, celui du catharisme occidental.

Procès Bélibbaste reconstitué à Villerouge-Termenès, 3e fête médiévale, 11/08/1984

Procès Bélibaste reconstitué devant le château de Villerouge-Termenès, 3e fête médiévale, 11/08/1984. En bleu à gauche: l’organisateur Benoit BROUNS

    J’ai découvert le personnage de Guilhem Bélibaste grâce aux festivités organisées à Villerouge-Termenès en 1984. Les historiens Michel Roquebert et Anne Brenon, le romancier Henri Gougaud nous ont fait revivre par la parole le destin de cet homme singulier tandis que les habitants de Villerouge reconstituaient son procès devant le château des archevêques de Narbonne. Plus tard , alors que je dépouillait un inventaire des archives des archevêques de Narbonne pour mes recherches sur Olivier de Termes, j’ai eu la chance de découvrir quelques documents inédits sur Bélibaste. Ces documents ont été publiés en 1995 dans la revue Heresis animée par le Centre d’études cathares. Deux ans après j’en ai tiré un article pour Pays cathare magazine. Article dont vous trouverez la teneur ci-dessous. J’ai également fait illustrer la vie de Bélibaste par Claude Pelet dans la bande dessinée L’Aude dans l’Histoire, publiée en 2006 par les éditions Aldacom. Les vignettes qui illustrent cet article en sont issues. Les autres images qui illustrent cet article ont été préparées pour une conférence réalisée pour l’Association d’études du catharisme en novembre 2011.

Le dernier et le plus célèbre des parfaits cathares occitans nous a laissé l’exposé le plus complet qu’on ait sur la doctrine des cathares. Pourtant, il fut sans doute l’un des plus médiocres pasteurs de l’église des « Bons chrétiens ».

Un criminel devenu parfait

Photo aérienne Cubières     Guilhem Bélibaste naît vers 1280 à Cubières, un village du Razès (Aude). Sa famille, des paysans aisés, est totalement acquise au catharisme. A Cubières, les Bélibaste reçoivent de nombreux parfaits de marque comme Pierre Autier et Philippe d’Alayrac. Les frères de Guilhem, bergers, accompagnent même fréquemment certains de ces parfaits dans leurs tournées clandestines. En effet, malgré les efforts de l’église catholique depuis presque un siècle pour éliminer l’hérésie cathare, celle-ci est encore bien vivace et se développe même à nouveau en Ariège et en Razès grâce à la prédication des frères Autier.

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Malgré ces antécédents familiaux, ce n’est pas par vocation mais par hasard que Guilhem Bélibaste entre dans les ordres. Vers 1305-1306 au cours d’une rixe il tue un berger de Villerouge-Termenès.

Une affaire judiciaire partiellement résolue… 700 ans après !

     Dans une affaire de meurtre on connaît la victime mais pas toujours le coupable. Ici, c’est le contraire, le coupable, Bélibaste, était connu. Mais de sa victime, un berger, on ne savait rien. La solution dormait dans un vieux registre conservé à la bibliothèque de Narbonne. L’Inventaire des archives de l’archevêché de Narbonne nous apprend que la victime s’appelait Barthélémy Garnier et était originaire de Villerouge-Termenès. Il reste à découvrir le mobile du crime. Risquons une hypothèse : Villerouge était la résidence d’été de l’archevêque de Narbonne, ses habitants dont Barthélémy Garnier étaient donc sans doute des catholiques convaincus. C’est sans doute dans les pâturages d’estive de Cubières où il devait mener des troupeaux de l’archevêque qu’il rencontra Bélibaste. Menaça-t-il Bélibaste de le dénoncer comme hérétique ? Si tel est le cas, on peut accorder les circonstances atténuantes à Bélibaste.

     Une procédure judiciaire est lancée contre lui. L’archevêque de Narbonne, seigneur de Villerouge et de Cubières le reconnaît coupable et confisque ses biens. Pour sauver sa peau, Bélibaste abandonne sa femme, son fils, et rentre dans la clandestinité auprès des parfaits cathares. Pour sauver son âme et par pénitence, il doit rentrer dans les ordres.

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     Il est initié et ordonné parfait à Rabastens (Tarn) par Philippe d’Alayrac. Mais les deux compagnons sont arrêtés et enfermés dans la sinistre prison de l’Inquisition de Carcassonne : le Mur. Ils parviennent cependant en 1309 à s’en échapper et se réfugient en Catalogne dans le comté d’Ampurias. Quand Philippe d’Alayrac retourne dans le royaume de France exercer son ministère, Bélibaste, moins courageux, préfère ne pas l’accompagner. Bien lui en prend car peu de temps après, il apprend l’arrestation et la mort sur le bûcher de son ancien compagnon.

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     Fuyant l’insécurité, il s’éloigne par étapes de la frontière où il risque d’être reconnu et arrêté. Par précaution il change aussi de nom : il se fait appeler Pierre Penchenier, nom inspiré de son nouveau métier, fabricant de peignes de tisserands. Il se loue aussi parfois pour des travaux saisonniers dans les vignes ou travaille comme berger près de Poblet avec son ami Pierre Maury.

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L’imparfait cathare de Morella

     En 1314 il se fixe à Morella, dans le royaume de Valence. En effet, dans le village voisin de San Matéo vit une petite communauté de cathares occitans en exil, pour la plupart originaires de Montaillou (Ariège), et dont il devient le pasteur. Au sein de cette communauté il abuse parfois de son autorité spirituelle, notamment avec son ami Pierre Maury trop généreux : Ce dernier raconte : « Comme nous avions acheté en indivision, Bélibaste et moi, six brebis, dont j’avais entièrement payé le prix (et je lui avait donné en outre cinq sous), l’hérétique voulut emmener avec lui trois brebis sur ces six, disant qu’elles étaient à lui, et que je lui avais donné l’argent de ces brebis et les cinq sous pour l’amour de Dieu. » Pour donner le change aux catholiques, il fait croire qu’il est marié en vivant avec une veuve, Raimonde Marti, et sa fille. En réalité Raimonde Marti est sa concubine depuis plusieurs années et tombe enceinte en 1320. Pour donner le change cette fois-ci aux cathares, car il a rompu son voeu de chasteté, il la marie à son ami Pierre Maury qui endosse la paternité, puis, jaloux, défait ce mariage.

Aude dans l'histoire     Aude dans l'histoireCependant, il prend au sérieux son rôle de pasteur. Il prêche, bénit, administre le consolament (sacrement cathare) aux mourants et reçoit régulièrement des croyants parmi lesquels Arnaud Sicre, dont la mère est morte sur le bûcher. A ce dernier il enseigne à sa manière, naïve, populaire mais imaginative, les croyances de sa religion : « Alors l’ennemi de Dieu, Satan, fit des corps d’homme dans lesquels il enferma ces esprits. (…). Ces esprits, quand ils sortent des tuniques, c’est à dire d’un corps, se sauvent tous nus, apeurés, et ils courent si vite, que si un esprit était sortit d’un corps à Valence et devait entrer dans un autre dans le comté de Foix, et qu’il plût abondamment sur tout le parcours, c’est à peine si trois gouttes de pluies l’atteindraient. Courant ainsi apeurés, il se pose dans le premier trou vide qu’il peut trouver, c’est à dire dans le ventre de tout animal qui porte un embryon encore sans vie : chienne, lapine, jument, ou n’importe autre animal, ou encore dans le ventre d’une femme, de telle sorte cependant que si cet esprit a mal agit dans son premier corps, il s‘incorpore dans le corps d’une bête brute ; si au contraire il n’a pas fait de mal, il entre dans le corps d’une femme. Ainsi les esprits s’en vont de tunique en tunique jusqu’à ce qu’ils entrent dans une belle tunique, c’est à dire dans le corps d’une homme ou d’une femme qui a l’entendement du bien [c’est à dire cathare], que dans le corps ils soient sauvés, et qu’après être sortis de cette belle tunique, ils retournent au Père saint ».

     En réalité Arnaud Sicre, si désireux de « s’ouvrir à l’entendement du bien » n’est là que pour gagner la confiance de Bélibaste, le faire arrêter, et se faire restituer les biens confisqués à sa mère par l’inquisiteur qui l’a envoyé.

Aude dans l'histoireAude dans l'histoire Le dernier parfait occitan

    Bélibaste, qui malgré les entorses à la règle désire rencontrer d’autres parfaits pour se faire réordonner, se laisse convaincre par Arnaud Sicre de revenir en Languedoc. Sur le chemin à Tirvia dans le diocèse d’Urgell, en mars ou avril 1321, Arnaud Sicre le dénonce au bayle du comte de Foix, seigneur du lieu. Arrêté, conduit à Castelbon, il est emprisonné dans la tour du château avec -comme cela est de coutume- son dénonciateur. Pendant la nuit Bélibaste tente vainement de convaincre Arnaud de recevoir le consolament, et de se suicider ensemble du haut de la tour pour entrer directement au ciel.

Aude dans l'histoire     Jugé à Carcassonne, Bélibaste est brûlé la même année dans le château de Villerouge-Termenès, résidence de l’archevêque de Narbonne son seigneur, qui l’avait déjà condamné pour meurtre.

     Avec Bélibaste disparaît l’église cathare occitane : après sa mort et jusqu’au milieu du XIVe siècle, on ne brûle que de simples croyants. Cependant subsiste une église cathare en Bosnie dont les membres se convertiront à l’Islam à la fin du XVe siècle. Le dernier parfait occitan s’écarta souvent de la règle de vie rigoureuse des parfaits. Il mourut cependant avec dignité, sans abjurer sa foi. Sa mort en martyr milite encore aujourd’hui pour la tolérance religieuse.

Gauthier LANGLOIS

Pour en savoir plus…

     Cette article est la version longue du texte rédigé pour l’article « Bélibaste, l’imparfait », paru dans Pays Cathare magazine, hors-série n° 1, décembre 1997, pp. 70-71. L’essentiel de ce que l’on sait sur Bélibaste est contenu dans les dépositions d’Arnaud Sicre et de Pierre Maury recueillies par l’inquisiteur Jacques Fournier, futur pape sous le nom de Benoît XII. Ces dépositions qui se lisent comme de petits romans ont été publiées par Jean DUVERNOY : Le registre d’inquisition de Jacques Fournier (Évêque de Pamiers), 1316-1325 aux éditions Mouton, Paris, 1978. Les origines de Bélibaste et le meurtre commis par lui ont été éclairés par un article de G. LANGLOIS : «  Note sur quelques documents inédits concernant le parfait Guilhem Bélibaste et sa famille » , dans la revue Heresis publiée par le Centre d’Études Cathares, n° 25, 1995. Le seul ouvrage consacré exclusivement à Bélibaste est en italien : Lidia FLÖSS : Il caso Belibaste, Milano : Luni Editrice, 1997. Enfin, Henri GOUGAUD lui a consacré un roman : Bélibaste, publié aux éditions du Seuil en 1982. Le château des archevêques de Narbonne à Villerouge-Termenès (Aude) abrite une très belle exposition permanente sur Bélibaste et son temps. (Tél. 04 68 70 09 11). La bibliographie complète sur Bélibaste est ici.

Merci à Alain d’Amato, directeur des éditions Aldacom de m’avoir permis d’illustrer cet article par des extraits de la Bande dessinée l’Aude dans l’Histoire. Cette B.D. peut être commandée à l’éditeur ou dans toute bonne librairie.

Pour citer cet article :

Langlois (Gauthier). – « Bélibaste, l’imparfait », Pays Cathare magazine, hors-série n° 1, décembre 1997, pp. 70-71. (Version mise en ligne sur le site Paratge le 21 décembre 2012 https://paratge.wordpress.com/2012/12/21/belibaste/)

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4 commentaires pour Bélibaste l’imparfait cathare né au pied de Bugarach et la fin d’un monde

  1. Ping : Qui était Guilhem Bélibaste,le dernier des Bons hommes du Midi, natif de Cubières, au pied du pech de Bugarach ? « AEC / René Nelli

  2. Bruno dit :

    Excellent article. Pour ceux qui comme moi sont des grands adeptes de cette fabuleuse histoire, mais n’ont pas en leur possession le registre de Fournier, et veulent aller jeter un oeil aux dépositions concernant Bélibaste, il est possible d’acheter en ligne les seules dépositions à un prix plus raisonnable que les 3 tomes complets du registre dont la rareté a fait monter le prix.
    Il suffit de se rendre ici : http://www.degruyter.com/viewbooktoc/product/183604

    Bruno

  3. PRM - Paul RAGOUBA MILEGIA dit :

    Très bon article auquel je pense nous pouvons apporter plus de précision, la date de la mort de Bélibaste est le 04/08/1321, c’est annoncé dans le village de Villerouge , c’est sa dernière citation qui me plait le plus « AU CAP DES 700 ANS LE LAURIER REVERDIRA  »

    PRM

    • Merci pour les compliments. Concernant la date du bûcher voici le commentaire de Charles Peytavie, posté sur la page Facebook de la SESA : « 24 août ? Cette date est reprise par certains auteurs de depuis les années 1990 sans vérifications. Et pour cause, on ne connaît pas la date exacte du bûcher de Bélibaste à Villerouge-Termenès. Les sources locales n’y font pas allusion; seul le registre de l’évêque de Pamiers Jacques Fournier fournit quelques pistes. Il pourrait bien encore être vivant en septembre et en octobre 1321. Lorsque Fournier entend Arnaud Sicre en octobre 1321, celui évoque Bélibaste comme s’il était encore vivant. Ignore-t-il sa mort ou sait-il qu’il est encore en vie ? En fait, la première mention du bûcher de Guilhem Bélibaste se trouve dans la déposition de Sibille Peyre dont le procès se tient tout au long de l’année 1322, entre le 14 janvier et avant le 14 novembre. Il se peut très bien que le bûcher ait eu lieu à la fin de l’année 1321 ou courant 1322. Mais l’important, c’est effectivement de se souvenir qu’il ait bien eu lieu et qu’avec Bélibaste disparaissait le dernier Bon homme dont nous connaissons l’existence en Occitanie. » Source : https://www.facebook.com/sesa.aude/posts/6133086836716359

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