Archéologie du paysage dans la Manche autour de Carentan

     À l’occasion de la mise à quatre voies de la route nationale n° 13 entre Caen et Cherbourg, j’ai été chargé en 1989 de diriger un diagnostic archéologique autour de Carentan et la baie des Veys. Si les découvertes archéologiques ont été peu nombreuses, ce diagnostic a permis de faire le point sur l’histoire de la région de Carentan, et d’esquisser une approche archéologique et géomorphologique de son paysage de la Préhistoire à la Seconde Guerre Mondiale.

     Vous trouverez ci-dessous des extraits du rapport que j’avais rédigé avec Ivan Jahier et Didier Nivaut, ainsi qu’au pied de cet article un lien vers le rapport complet de ce diagnostic.

Bocage et marais inondé en amont de Carentan à Graignes. Source: Wikimedia

Bocage et marais inondé en amont de Carentan à Graignes. Source: Wikimedia

0.1 Le Cadre Géographique : la région de Carentan et les passages de la baie des Veys

     À la limite de trois régions, Bessin, Nord-Cotentin et Sud-Cotentin, dans un estuaire, Carentan occupe une position privilégiée. (Cf. pl. 1). La série de marais des vallées de la Vire, la Douve et leurs affluents délimitent et isolent ces trois régions entre lesquelles les passages sont difficiles. Seule une étroite chaîne de collines permet par Saint-Lô, Périer et La Haye-du-Puits, de rejoindre le Nord-Cotentin sans traverser les marais. En dehors de ce passage contrôlé notamment depuis l’Âge du Fer par l’oppidum du grand Mont-Castre, il existe quelques gués plus ou moins praticables suivant les saisons et les marées. Carentan se trouve précisément sur ou à proximité de deux de ces passages à gué parmi les plus fréquentés, assurant la liaison la plus directe entre Bayeux et Valognes.

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Carte de localisation de Carentan et la baie des Veys

     La Baie des Veys, formée par l’estuaire de la Douve, de la Taute et de la Vire, doit d’ailleurs son nom à deux de ces passages (Vey = Gué). L’un, le Grand Vey, traverse l’estuaire sur des grèves découvertes à marée basse entre Sainte-Marie-du Mont et Saint-Clément. L’autre, le Petit-Vey, sur la Vire, a été remplacé au XIX° siècle par le pont qui porte la nationale 13.

     Autour de la Baie des Veys et le long de la nationale 13 qui s’est superposée à l’antique voie Bayeux-Valognes se sont créées plusieurs agglomérations. Le village de Saint-Hilaire-Petitville est situé sur le bord d’une presqu’île délimitée par les marais de la Taute et de la Vire ; la petite ville de Carentan sur le bord d’un promontoire peu élevé délimité par la Taute, la Douve et la Sève ; le village de Saint-Côme-du-Mont, comme son nom l’indique, sur le sommet d’une colline de 32 m qui forme également un promontoire dans les marais de la Douve et l’estuaire et enfin le hameau du Pont-d’Ouve, situé au pied du mont de Saint-Côme autour du passage sur la Douve.

     En dehors des agglomérations l’essentiel de l’habitat est formé de fermes dispersées, et pour la plupart situées en limite des zones inondables.

     En amont de Carentan les vallées sont encore occupées par des marais tandis qu’en aval, une zone peu bocagère de pré et de culture a été gagnée naturellement et artificiellement au prix d’importants travaux hydrauliques sur les marais et les atterrissements de l’estuaire. Toutes ces zones basses sont encore parfois inondées une partie de l’année.

0.2 Recherche documentaire : des sources lacunaires

     Dans notre recherche documentaire nous nous sommes attachés non seulement à ce qui pouvait nous faire découvrir des sites archéologiques sur le tracé de la déviation, mais aussi de manière plus générale à ce qui pouvait nous donner des indications sur le cadre naturel et historique de la région.

     Dans la Manche les archives antérieures à l’intégration du Cotentin au duché de Normandie sont inexistantes et restent rares jusqu’au XIIe siècle. D’autre part, les archives départementales ayant brûlées avec la ville de Saint-Lô en 1944, les archives de la ville de Carentan ayant brûlées avec l’hôtel de ville en 1987, notre documentation se limite à des sources de seconde ou de troisième main, souvent sous forme d’extraits ou de mentions difficilement exploitables au sein d’œuvres de quelques érudits. La recherche d’archives dans d’autres dépôts que ceux de la Manche n’est enfin pas facilité par l’absence de dictionnaire topographique.

     Restent donc les publications d’érudits du XIX° siècle. Le plus intéressant d’entre eux, de Gerville, s’était attaché à recenser les découvertes gallo-romaines de la région. Il a signalé de nombreuses trouvailles de monnaies, de céramiques et de tuiles romaines, principalement à Saint-Côme et au Pont-d’Ouve. (Voir planche 4 ou la localisation des trouvailles a été faite d’après les noms de lieux dits signalés par de Gerville. Celui-ci avait porté ses découvertes sur une copie du plan cadastral de Saint-Côme, copie qui n’est malheureusement pas dans le fonds de Gerville de la bibliothèque de Cherbourg.)

Carentan355

Planche 4 : Carte des environs de Carentan dans l’Antiquité. Les numéros correspondent aux découvertes archéologiques anciennes décrites dans le rapport.

     Ces découvertes l’ont amené à envisager la localisation de Crouciatonum, ou Crouciconnum, étape sur la route de Bayeux à Valognes signalée par le géographe grec Ptolémée et par la table de Peutinger, à Saint-Côme-du-Mont et au Pont-d’Ouve ou à Carentan le Portus Unelli (port de la tribu des Unelles).

     Émile Lechanteur de Pontaumont a consacré quant à lui deux ouvrages à l’histoire de Carentan. À travers ses recherches on perçoit l’importance du marais et des passages dans l’économie et l’histoire de la région : découvertes de pirogues monoxyles dans le port de Carentan ; utilisation de la Douve et de la Taute comme voies navigables ; installations de moulins à marée dès le XIIe siècle notamment au Pont-d’Ouve ; mise en place de fortifications destinées à contrôler le passage, dès le XIIe siècle à Carentan, et à partir de 1353 au Pont-d’Ouve ; travaux d’endiguement, de rectification des cours d’eaux et de drainage du XIIe au XIXe siècle.

     Les sources et la bibliographie de par leurs lacunes et leur imprécision topographique ne nous ayant donné aucun site localisable sur le tracé de la R.N. 13, notre recherche s’est orientée principalement sur trois problèmes :

  1. Vérifier la présence d’une agglomération antique à Saint-Côme-du-Mont.
  2. Étudier l’évolution du paysage des premières occupations humaines à nos jours.
  3. Étudier les chemins, voies et passages antiques et médiévaux.

     Pour ces deux derniers problèmes nous avons tiré grand parti des photographies aériennes et des cartes.

1. Pour une archéologie du paysage

1.1 Époques protohistoriques et gallo-romaines

1.1.1. Le problème de la transgression marine du Haut Moyen Âge

     Depuis la fin de la dernière glaciation la fonte des glaces a provoqué une remontée générale des eaux qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Cette remontée ne semble pas avoir été régulière : diverses sources historiques font état d’envahissement par la mer des terres les plus basses de Normandie au Haut-Moyen-Âge. Si l’ampleur et le rythme de ce phénomène a été beaucoup exagéré (des légendes affirment que les îles anglo-normandes et le Mont-Saint-Michel étaient reliés à terre ferme au Haut Moyen Âge), il n’en est pas moins réel.

     Le niveau de la mer étant donc légèrement plus bas dans l’Antiquité qu’au XXe siècle, on peut penser qu’une partie des marais du Cotentin, reconquis récemment, étaient émergés à cette époque. Mais d’autres phénomènes ont joué dans la transformation du paysage : la sédimentation, importante dans les estuaires en climat tempéré et, à un moindre titre, des mouvements tectoniques dont la conséquence a pu être la baisse ou la remontée de certains terrains. (Carentan est sur une zone de failles). Il faut ajouter à cela les tassements des couches quaternaires (et particulièrement de la tourbe) ; Enfin les changements de lit de la Douve et de la Taute, qui s’observent sur photo aérienne.

     Grâce aux observations archéologiques et géomorphologiques les plus récentes, nous avons quelques éléments nous permettant d’avoir une idée de l’occupation du marais de Carentan à l’époque antique. Ces observations ont été faites en limite de marais, là où les terrains sont susceptibles d’avoir subi peu de tassements et de remaniements en raison de leur faible épaisseur au-dessus du substratum.

     À Saint-Hilaire, en 1982, Thierry Churin a repéré un chemin gallo-romain dans le marais, mais non loin de la zone haute. Le haut de la chaussée se trouvait à 1 m sous le sol actuel, et les deux fossés qui bordaient ce chemin étaient remplis d’un sédiment tourbeux contemporain de la voie.

Coupe stratigraphique 2 en limite de la zone basse et de la zone haute à Saint-Côme-du-Mont

Coupe stratigraphique 2 en limite de la zone basse et de la zone haute à Saint-Côme-du-Mont

     À Saint-Côme (cf. plus loin), nous avons découvert en limite du marais un tesson de la fin de l’Âge du Bronze ou de l’Âge du Fer dans une couche (n° IV de la coupe 2) comprise entre 1 et 1,40 m sous le sol actuel. Juste en dessous, une couche de tourbe scellait la berge fossile d’un large chenal ou du marais. Dans cette dernière couche (n° V de la coupe comprise entre 1,40 et 1,80 m de profondeur, ont été recueillis deux tessons roulés protohistoriques.

     À Saint-Hilaire, toujours en limite du marais, nous avons retrouvé une stratigraphie comparable à celle de Saint-Côme, (cf. coupe n° 3) et une structure qui pourrait être la continuation de la voie romaine susdite, dont le haut émergeait d’un niveau tourbeux, à 1 m sous le sol actuel.

Coupe stratigraphique 3  en limite de la zone basse et de la zone haute à Saint-Hilaire Petitville

Coupe stratigraphique 3 en limite de la zone basse et de la zone haute à Saint-Hilaire Petitville

     Ces éléments nous indiquent : 1) une sédimentation minimale de 1 m d’alluvions depuis l’Antiquité. 2) Seules les terres situées à environ 1,10 m au-dessus du niveau moyen actuel de la mer à Saint-Côme, et environ 1,40 m à Saint-Hilaire (Cf. coupes 2 et 3, altitude du haut de la tourbe) étaient émergées en permanence, sauf inondation ou marée importante bien-sûr. 3) Le marais, (ou tout au moins de larges chenaux), caractérisé par des formations tourbeuses, commence au même endroit qu’aujourd’hui là où nous avons fait nos observations, ou quelques dizaines de mètres après pour l’observation de T. Churin.

     En résumé, et dans la limite très ponctuelle de nos éléments d’informations, il semble que la zone humide antique ait été guère moins importante que de nos jours : la transgression a été compensée par une sédimentation sensiblement égale en hauteur. La probabilité de rencontrer des habitats gallo-romains en dehors de la limite marais / zone haute et d’éventuelles îles semble faible. Par contre d’autres sites liés à la proximité de la mer, à la présence de fleuves et à l’utilisation des marais sont susceptibles d’être rencontrés par les travaux : pêcheries et salins (attestés au Moyen Âge), ports, gués etc.

     En construisant le port de Carentan au milieu du XIXe siècle, les travaux ont permis de découvrir dans la tourbe et à une profondeur de 2 à 3,75 m, divers objets gallo-romains et de l’Âge du Bronze, ainsi que deux pirogues monoxyles. L’observation des photos aériennes montre que ce port a recoupé un chenal fossile de la Taute, dans lequel devaient se trouver les découvertes ci-dessus. Compte tenu de la présence à proximité d’une voie antique – que nous allons étudier- il est raisonnable de penser qu’il y avait là un port dès l’Âge du Bronze.

1.1.2 Les voies et les passages à gué

     Nous avons déjà vu que Carentan et la baie des Veys constituaient les passages obligés de la liaison Bayeux-Valognes. Pour la traversée du marais de Carentan et du marais d’Isigny plusieurs gués et voies ont été utilisés concurremment ou successivement. Parmi ces passages nous allons en étudier trois qui étaient ou semblent avoir été utilisés par les Romains et certainement avant : la voie Bayeux-Valognes par Carentan, la voie Bayeux-Valognes par le Grand-Vey, et un chemin intermédiaire par Saint-Côme et Brévands.

Les sources antiques

     La table de Peutinger (copie médiévale d’une carte antique) nous apprend l’existence d’une voie passant par Augustodunum (Bayeux), Crouciconnum, et Alauna (Valognes). Le géographe grec Ptolémée, parlant de la tribu gauloise des Unelli qui habitait le Cotentin, nous apprend d’autre part l’existence d’un Portus Venelorum (Port des Unelli) à proximité du vicus Crouciatonum.

     De Gerville, s’appuyant sur les quelques découvertes gallo-romaines de Saint-Côme, et tous les chercheurs qui l’ont suivi, ont identifié la voie décrite par la table de Peutinger avec l’actuelle route nationale 13 et par là, ont identifié Crouciatonum (ou Crouciconnum) avec Saint -Côme-du-Mont ou Carentan.

     Cette voie, qui le plus souvent se confond avec la R.N. 13 mais en diffère par endroits, présente en effet toutes les caractéristiques d’une route romaine importante. Les nombreuses trouvailles gallo-romaines faites depuis le XVIIe siècle dans les environs de Carentan se situent pour les deux-tiers le long de cette voie et confirment sa datation. (Cf. pl. 4).

     Son tracé ne pose pas de problèmes : de Houesville à Carentan la R.N. 13, construite ici vers 1760, superposée à la voie antique avec les modifications de tracé suivantes : entre Saint-Côme et le Pont d’Ouve la R.N. 13 a coupé un léger virage et se situe à quelques m. à l’Est de la voie antique. La voie antique passait ensuite au centre de Carentan, par la place de la République. Sur ce tronçon, on rencontre le toponyme le Ferage (au Nord de Saint-Côme) signifiant Champ de foire.

     De Carentan à Saint-Pellerin elle correspond à l’actuel CD 544, puis traverse la Vire au Petit-Vey à 1,2 km au Sud de la R.N. 13 avant de remonter en ligne droite vers le Nord-Est sur Isigny. Sur ce tronçon on rencontre plusieurs toponymes évocateurs : « Saint-Pellerin » (chapelle sans doute utilisée par des pèlerins), « Saint-Sauveur » saint qu’on devait évoquer avant de passer ce gué, particulièrement dangereux si l’on en croit les récits du XVIIIe siècle ; La « Chasse ferrée », toponyme désignant traditionnellement une route charretière importante.

     Enfin, l’étude des photos aériennes et des cartes topographiques montrent que le parcellaire s’organise autour de cette voie et qu’elle sert souvent de limite entre deux communes. A l’opposé on ne rencontre aucune de ces deux caractéristiques sur le tronçon Saint-Hilaire – Isigny de la R.N. 13, qui est daté pour partie du XVIIIe siècle.

     La Voie Bayeux – Valognes par le Grand Vey et Saint-Clément, utilisée jusqu’au XIXe siècle, semble également une importante voie antique par son tracé rectiligne, et par les toponymes qui l’accompagnent : « La Chaussée », « le Grand Chemin » etc. Cependant nous ne connaissons pas les découvertes archéologiques qui auraient pu être faites sur son tracé et confirmer sa datation. L’avantage de cette voie était de n’emprunter qu’un seul gué, au lieu de trois par Carentan. Mais ce gué, fort dangereux selon les sources historiques, n’était pas accessible par marée haute ou par mauvais temps, inondation printanière etc.

     Entre ces deux voies, du reste bien connues des historiens locaux, nous avons repéré un troisième chemin entre Saint-Côme et Brévands, qui sert de limite entre les cantons de Sainte-Mère-Église et de Carentan. Ce chemin, rectiligne jusqu’à la Douve, s’observe assez bien en photo aérienne même là où il n’est conservé que sous forme de fossés ou de haies. La Douve traversée au moulin de Brévands, il partait soit vers Brévands (CD 444, tracé retenu sur la carte), soit il longeait le coteau par le Sud et dans les deux cas rejoignait le CD 89 pour se diriger sur Saint-Pellerin. Sa datation n’est pas certaine. Cette voie risque d’être recoupée par les travaux de la déviation, là où elle rejoint l’actuelle R.N. 13 entre Saint-Côme et Houesville.

     En dehors des liaisons Bayeux-Valognes, mentionnons les voies qui partaient vers Briovera (Saint-Lô) depuis Carentan, vers Cosedia (Coutances) depuis Saint-Pellerin. Leur tracé respectif est aisément identifiable à partir là encore des limites de communes, du parcellaire, et des lieux dits. Modifiées par endroits au Moyen-Âge, remplacées au XVIIIe siècle par les actuelles routes nationales, elles sont portées sur la carte de Cassini (1756-1758).

     Il reste enfin un réseau de chemins secondaires, dont certains devaient exister à l’époque antique. Seules des fouilles peuvent les distinguer des multiples chemins médiévaux et modernes. A été recoupé en 1982 et en 1989 un chemin allant sans doute de Carentan à la mer (cf. supra et plus loin).

1.1.3 L’habitat

     Pour les périodes protohistoriques nous ne pouvons pas déduire grand-chose des quelques découvertes isolées faites au XIXe siècle et au cours de nos prospections.

Saint-Côme-du-Mont. Fond de céramique gauloise ou gallo-romaine

Saint-Côme-du-Mont. Fond de céramique gauloise ou gallo-romaine

     Si l’on considère les vestiges de tuiles et de briques romaines comme des indices d’habitats gallo-romains, les habitats semblent avoir été plus denses près de la voie antique, et particulièrement à Saint-Côme, au Pont d’Ouve, et à Carentan. Cela ne suffit pas pour prouver l’existence de vicus en chacun de ces endroits. Cependant, les découvertes faites en 1760 au lieu-dit l’Amont de Saint-Côme, de nombreuses sépultures antiques laissent présager de l’existence d’une agglomération antique. Les cimetières antiques étant traditionnellement situés aux limites des agglomérations gallo-romaines et au bord des chemins, le centre de ce village se situerait soit entre l’Amont et l’actuel bourg ; soit au Pont-d’Ouve.

Un montre, marin (car à proximité d'un poisson), tourné à gauche. Il s'agit sans doute du taureau marin Oswald 42 (reproduit sur le dessin en pointillés), motif utilisé à Lezoux sur des formes Drag. 377, notamment par les potiers BVTRIO, IVSTVS, PAVLLVS et CINNAMVS (règnes de Trajan à Antonin). Sur ce tesson les pattes de l'animal sont plus courtes, donc le poinçon utilisé était sans doute abimé ou surmoulé. Une corbeille surmontant ceux poissons entrelacés. Il s'agit probablement du type Rogers Q2 (reproduit sur le dessin en pointillés), utilisé à Lezoux par CINNAMVS. Le motif de ce tesson est plus complet que celui publié par Rogers. Ces deux motifs permettent de dater ce tesson des règnes de Trajan à Antonin (98 à 161 A.D.).

Fragment de céramique sigillée trouvée au Bel-Esnault à Saint–Côme-du-Mont. Elle est décorée d’un monstre, marin (car à proximité d’un poisson), tourné à gauche. Il s’agit sans doute du taureau marin Oswald 42 (reproduit sur le dessin en pointillés), motif utilisé à Lezoux sur des formes Drag. 377, notamment par les potiers BVTRIO, IVSTVS, PAVLLVS et CINNAMVS (règnes de Trajan à Antonin). Sur ce tesson les pattes de l’animal sont plus courtes, donc le poinçon utilisé était sans doute abimé ou surmoulé.
Une corbeille surmontant deux poissons entrelacés. Il s’agit probablement du type Rogers Q2 (reproduit sur le dessin en pointillés), utilisé à Lezoux par CINNAMVS. Le motif de ce tesson est plus complet que celui publié par Rogers.
Ces deux motifs permettent de dater ce tesson des règnes de Trajan à Antonin (98 à 161 A.D.).

     En dehors des abords de la route l’habitat semble assez dispersé et en général se situe comme maintenant surtout près du marais : La Basse-Addeville, les Droueries, Rampan etc. autant de fermes sur les terres desquelles ont été découverts des vestiges. En tout cas, les sondages que nous avons effectués sur la déviation de la R.N. 13, laquelle coupe la totalité du Mont de Saint-Côme, montrent, par leur stérilité, que l’hypothèse d’une véritable ville romaine telle qu’on les connait dans d’autres régions, dense et étendue, est à exclure. Les fouilles et les sondages pratiqués cet été par Thierry Lepert à Valognes (Alauna), vont dans le même sens et semblent confirmer l’hypothèse de De Gerville : même dans les agglomérations l’habitat est peu dense, voire dispersé et la construction de ces habitats devait surtout utiliser la terre et le bois (ce qui expliquerait les découvertes de tuiles sans substructions).

     En résumé, la présence d’un vicus gallo-romain sur Saint-Côme est très probable mais ce vicus ne peut être identifié à Crouciatonum que dans la mesure où l’on n’en connait pas d’autres qui conviennent en Cotentin entre Bayeux et Valognes. Pour ce qui est de l’identification du Portus Uenelorum, on peut hésiter à le situer au Pont d’Ouve, prolongement de l’agglomération de Saint-Côme et port sur la Douve attesté au Moyen-Âge ; et à Carentan, dont l’existence d’un port sur la Taute fait peu de doutes pour les raisons évoquées plus haut.

1.2 Moyen Âge, Époque Moderne : l’installation des Normands, la reconquête du marais

     En Cotentin le Haut-Moyen Âge est encore moins bien connu qu’ailleurs. On sait qu’au VIe siècle le pays est conquis par des Saxons et des Frisons, puis rentre dans la mouvance bretonne avant d’être conquis par les Normands. Les chroniques de l’abbaye du Mont-Saint-Michel situent d’autre part la remontée du niveau de la mer dans cette période. Du Haut Moyen Age tout ce que nous connaissons sur les environs de Carentan ce sont les toponymes d’origine saxonne ou scandinave comme Blactot, Houesville… Tout comme dans le nord Cotentin cette densité de toponymes est interprétée par les historiens comme une zone de forte implantation scandinave.

     Avec l’intégration du Cotentin au duché de Normandie la région retrouve une certaine stabilité et c’est sans doute au IX-XIe siècle que se fixent les villages et l’habitat tel que nous les connaissons. La présence ou les mentions des églises romanes de Saint-Côme, Saint-Hilaire etc. montrent que les paroisses qui donneront naissance aux communes semblent fixées au XIIe siècle. C’est également au XIIe siècle que l’on a la première mention de travaux hydrauliques sur Carentan. Si l’on se fie à la toponymie les premières zones reconquises sur les marais semblent être situées à Blactot, hameau situé en pleine zone de marais entre la Douve et la Taute, et dont l’étymologie scandinave (topt = domaine), lui assure une certaine ancienneté ; ainsi qu’au Haut Dicq. Ce dernier toponyme, d’origine également scandinave, fait allusion à une digue, sans doute élevée le long de la Taute.

     Donc à partir du XIIe siècle au moins, jusqu’à nos jours, se sont poursuivis des travaux d’aménagement hydraulique. Grâce aux cartes anciennes, et aux photographies aériennes on peut tenter d’établir une chronologie relative des différents travaux.

Planche 5 : Carte des environs de Carentan à l'époque médiévale et moderne. Les numéros correspondent aux notices des sites médiévaux décrits dans le rapport. Les points correspondent aux fermes actuelles d'après la carte I.G.N. En hachuré: les zones gagnées sur les marais avant la fin du XVIIe siècle.

Planche 5 : Carte des environs de Carentan à l’époque médiévale et moderne. Les numéros correspondent aux notices des sites médiévaux décrits dans le rapport. Les points correspondent aux fermes actuelles d’après la carte I.G.N. En hachuré: les zones gagnées sur les marais avant la fin du XVIIe siècle.

     Entre la Douve et Saint-Côme, la lecture du paysage est aisée : on repère facilement un ancien lit de la Douve (porté sur la pl. 5). Sur les cartes du XVIIe siècle ce lit est déjà partiellement abandonné au profit d’un lit artificiel endigué. La rectification du cours de la Douve sera achevée au XIXe siècle. Le chemin de Pénême, entre la Douve et la zone haute délimite deux zones de marais au parcellaire totalement différent. À l’ouest le marais est partiellement bocager, et près du chemin se sont installés des habitats. À l’est, les parcelles, non bocagères, correspondent à une mise en valeur effectuée au XVIIIe siècle. Le chemin de Pénême (en latin penes mare = presque la mer) correspond nettement à une ligne de rivage endigué, antérieure à la fin du XVIIe siècle.

     Entre la Taute et Saint-Hilaire la lecture est moins aisée : les anciens méandres fossiles de la Taute sont nombreux et la zone est partiellement oblitérée par le canal de Carentan construit au XIXe siècle. La rectification du cours de la Taute, en accord avec la toponymie et les textes, semble beaucoup plus ancienne et plus progressive que celle de la Douve : certains méandres fossiles, qui constituaient pourtant le lit avant rectification, n’apparaissent pas dans le parcellaire, et ne sont visibles que sur photo aérienne. Il en est de même du parcellaire, qui ne résulte pas d’un lotissement en parcelles régulières de terres nouvelles, contrairement aux polders mais semble résulter d’une conquête progressive sur le marais, parcelle par parcelle. Le toponyme Le Rivage est là pour nous rappeler que la limite la zone haute constituait autrefois la limite des marais.

     Si l’on examine maintenant l’implantation actuelle des habitats (planche 5) on s’aperçoit que celui-ci est essentiellement implanté le long de la voie romaine Bayeux-Valognes, de quelques axes secondaires dont certains semblent une création médiévale, ainsi que sur les rivages du marais.

1.3 Les dernières transformations du Paysage (XVIIe-XXe siècles)

     Outre la poursuite des travaux hydrauliques : création du port de Carentan, construction de polders, rectification des cours d’eaux, cette période se caractérise par l’orientation de l’agriculture vers l’élevage de vaches laitières et de chevaux. Trouvant de plus grands profits dans la vente du beurre, du lait et du fromage que dans la culture, les paysans transforment leurs champs en prés. Le bocage est renforcé, les haies constituant d’utiles clôtures. En marais, moins bocager, les paysans construisent des coupes vents pour les vaches. Ce sont des enclos carrés de 10 à 20 m de côté, entourés d’une haie et d’un fossé d’où la terre a été retirée. La plupart ont été rasés récemment mais s’observent encore très bien sur photographie aérienne comme au sol par différence de croissance des végétaux au-dessus des fossés[1]. Sont également construits des abreuvoirs, fosses creusées jusqu’à la nappe phréatique, dont chaque parcelle en marais est équipée (Voir ci-dessous).

Carentan

Le parcellaire en zone de marais. En jaune la limite entre les cantons de Sainte-Mère-Église et de Carentan sur l’ancien chemin Saint-Côme – Brévands. Photo aérienne extraite du site Géoportail.

     La relative richesse amenée par l’élevage a permis d’autre part aux paysans de se construire de grandes fermes en pierre. Les moellons calcaires sont le plus souvent prélevés sur place à Saint-Côme, dans les bancs de roches du Sinémurien. Plusieurs de ces carrières se trouvent d’ailleurs sur le tracé de la déviation de la R.N. 13. Celles-ci sont souvent aménagées ensuite en abreuvoirs, comme dans la ferme des Droueries. C’est à l’occasion du creusement de ces abreuvoirs ou de ces carrières que De Gerville a pu au début du XIXe siècle faire ses découvertes archéologiques.

1.4 La seconde guerre mondiale

1.4.1. Les évènements

     Le 6 juin 1944, tandis que la première armée américaine débarque de part et d’autre de la baie des Veys sur les plages d’Utah et d’Omaha, deux divisions aéroportées atterrissent entre Sainte-Mère-Église et Saint-Côme-du-Mont. Les vallées de la Douve et de la Taute ayant été inondées par les Allemands, certains parachutistes se noient d’ailleurs dans les marais. Un régiment de parachutistes allemand se maintenant autour de Carentan pour empêcher la jonction des deux corps d’armée américains, les combats durent jusqu’au 8 juin à Saint-Côme et au 12 juin à Carentan. Au cours de ces combats fut touché le hameau de la Basse-Addeville, tout proche.

     Plusieurs traces de ces sept jours de combats ont pu être observées sur la colline de Saint-Côme : une grenade américaine, les déchets d’une infirmerie et d’une cuisine près du sommet de la colline autour du carrefour du CD 913 (Route de Sainte-Marie-du-Mont et d’Utah-Beach) ; des fragments d’obus sur le coteau et au début de la zone de marais, illustrant les échanges d’artillerie entre les Américains et les Allemands défendant Carentan ; un masque à gaz allemand complet en bas de la colline ; quelques douilles et étuis.

     Près du sommet de la colline de Saint-Hilaire et de l’actuelle Nationale 13, dans l’emprise de la déviation, les Américains avaient installé un gigantesque hôpital de campagne dont nous avons retrouvé quelques canalisations ; les fondations de ces bâtiments, quant-à-elles, ayant été pour la plupart détruites par les derniers agriculteurs.

[1] Ces structures très visibles sur les photographies aériennes mais peu visibles au sol nous avaient surpris, d’autant qu’elles s’accordaient au parcellaire d’origine antique. C’est en interrogeant les paysans et habitants de la région que nous avons appris leur fonction et leur datation.

Pour en savoir plus :

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