Charles-Alfred Vidal, un romancier méconnu de la Croisade contre les Albigeois

      Au XIXe siècle avec le développement du romantisme et des nationalismes, on recherche dans l’histoire de chaque nation des épisodes valeureux et des martyrs ou héros de la liberté. L’histoire de France récupère Vercingétorix et Jeanne d’Arc. Autour de la France méridionale se développe le mythe d’un Midi occitan civilisé, celui des troubadours, mis à mort par la Croisade albigeoise menée par les barbares du Nord. C’est dans cet épisode de la Croisade que plusieurs historiens et romanciers puisent leurs héros. L’ariégeois Frédéric Soulié fait du vicomte de Béziers, des comtes de Toulouse et de Foix les héros de romans à succès. L’un de ses épigones, l’audois Charles-Alfred Vidal, fait du chevalier Olivier de Termes, le libérateur de l’Occitanie. Mais le roman à la gloire de ce chevalier, publié peu avant la guerre de 1870, est vite oublié.

Vue d’ensemble des ruines du château de Termes (Aude). Photographie d’H. Roudière, prise en août 1953. © Société d’études scientifiques de l’Aude

Vue d’ensemble des ruines du château de Termes (Aude).
Photographie d’H. Roudière, prise en août 1953.
© Société d’études scientifiques de l’Aude

     Charles-Alfred, de son nom de baptême Justinien, Charlemagne, Napoléon, Alfred Vidal, nait le 4 février 1843 à Carcassonne dans une famille modeste d’artisans. Il est éduqué par son oncle François Dardé, avocat, rédacteur en chef de l’Écho de l’Aude et collaborateur de divers journaux du Midi. Son oncle lui offre des études dans la prestigieuse école de l’abbaye de Sorèze, dirigée par le père Lacordaire, le plus célèbre orateur catholique de son temps. À son oncle Charles-Alfred doit son métier, son goût pour la littérature et l’histoire, à son professeur ses idées libérales, romantiques et patriotes. Après ses études Charles-Alfred s’installe comme avocat à Carcassonne. Aux côtés de son collègue Théophile Marcou, ami de Barbès, Vidal s’engage dans la politique. Il collabore dès 1869 à La Fraternité, journal de l’Aude, un journal créé et dirigé par Marcou pour servir de tribune à l’opposition républicaine audoise. Puis l’année suivante est élu au conseil municipal de Carcassonne dont Marcou devient maire. Il délaisse ensuite la littérature et la politique pour une carrière de haut-fonctionnaire qui l’éloigne de l’Aude. Il achève cette carrière au poste de sous-préfet de Prades dans les Pyrénées-Orientales en 1897 puis devient percepteur d’Alès dans le Gard.

La fameuse fenêtre cruciforme de la chapelle du château royal de Termes (XIIIe siècle). (Photo Charles Peytavie.)

La fameuse fenêtre cruciforme de la chapelle du château royal de Termes (XIIIe siècle).
(Photo Charles Peytavie.)

L’un des premiers visiteurs des « châteaux cathares »

     Pendant son enfance Charles-Alfred est emmené par son oncle visiter les hauts lieux de la croisade albigeoise. On est à une époque, le milieu du XIXe siècle, où la visite des Pyrénées et des ruines médiévales sont des destinations fort prisées des romantiques en quête de pittoresque. Cependant, si Carcassonne est un site déjà assez visité, rares sont ceux qui se risquent sur les mauvais chemins des Corbières à l’assaut des ruines des châteaux. Les restaurateurs de Carcassonne : Mérimée, Viollet-le-Duc et Cros-Mayrevieille ne semblent pas avoir visité Termes. Charles-Alfred et son oncle sont donc des précurseurs d’un tourisme qui ne se développe que dans la deuxième moitié du XXe siècle. En écoutant les récits de son oncle, le jeune Vidal apprend à connaître les acteurs de la croisade, à haïr surtout Simon de Montfort et l’Église catholique responsables, selon lui, des ruines qu’il a sous ses yeux. De retour de ce voyage, il se plonge dans la lecture de l’Histoire de la guerre contre les Albigeois, d’Antoine Quatresous de Parctelaine, un livre violemment anticlérical paru en 1833. Il se nourrit aussi de la lecture des auteurs classiques, conformément à l’éducation de son temps, et des auteurs romantiques.

     C’est précisément par une série romantique intitulée Conjugaison du verbe aimer, qu’il se lance dans la littérature. Deux de ses œuvres sont publiées sous le pseudonyme de Valdi, qui est l’anagramme de son nom, mais aussi une référence à Pierre Valdo, fondateur de la secte des Vaudois. Une manière sans doute de revendiquer, comme les protestants de son époque, une filiation spirituelle avec les vaudois et les cathares que l’on confond encore souvent.

     Ces influences romantiques, anticléricales et historiques se retrouvent dans le roman que Vidal publie d’abord en feuilleton en 1869 dans La Fraternité sous le titre : « Olivier de Termes, un épisode de la croisade albigeoise ». À cette époque le roman feuilleton remporte un vif succès. Dans la première moitié du XIXe siècle le maître incontesté de ce genre littéraire est l’ariégeois Frédéric Soulié, ami de Dumas et Hugo, qui publie trois romans historiques inspirés de la croisade albigeoise. Le premier de ces romans intitulé Le vicomte de Béziers, raconte les dernières années de Raimond-Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne et Béziers, jusqu’à sa mort en novembre 1209. Le roman de Charles-Alfred Vidal en constitue en quelque sorte une suite puisque qu’il couvre la période immédiatement postérieure et reprend quelques personnages de Soulié. Cependant le héros principal du roman de Vidal n’est pas le fils du vicomte de Carcassonne, Raimond Trencavel, mais l’un de ses compagnons d’infortune, Olivier de Termes.

Couverture de la deuxième édition, parue en 1870, du livre de Charles-Alfred Vidal. (Exemplaire déposé à la Bibliothèque municipale de Carcassonne. Photo Charles Peytavie.)

Couverture de la deuxième édition, parue en 1870, du livre de Charles-Alfred Vidal.
(Exemplaire déposé à la Bibliothèque municipale de Carcassonne.
Photo Charles Peytavie.)

Olivier de Termes, un héros romantique

     Le choix de la période et du héros peuvent s’expliquer facilement. Olivier de Termes est un chevalier bien connu des historiens languedociens. À travers ses lectures Charles-Alfred a perçu les principales qualités de ce chevalier : sa sagesse, sa droiture, et surtout sa remarquable efficacité au combat. Il ne manque au personnage réel d’Olivier, ou tout au moins ce qu’on connaît de lui, que la qualité d’amoureux courtois pour en faire un modèle de chevalier tel que l’imaginent les romantiques. À côté, le vicomte Raimond Trencavel, au caractère peu vigoureux, fait pâle figure. Ch. Alfred ne lui attribue donc qu’un second rôle. La période choisie, 1210-1224, permet à l’auteur de commencer le roman par un drame, la mort du père et l’exil d’Olivier. Et de le terminer par une série de victoires : la mort de Simon de Montfort et le départ des croisés chassés par les Occitans. La perspective de ce roman est donc assez différente de celle du roman de Soulié qui se termine par un drame pour les Occitans et la victoire des croisés. La période choisie correspond à la jeunesse d’Olivier sur laquelle on n’est pas renseignée. Cette absence de documentation, loin de constituer un handicap pour l’auteur, lui permet de laisser libre cours à son imagination.

     Sur la trame des événements et les personnages historiques Charles-Alfred Vidal est bien renseigné. D’ailleurs, pour faire œuvre de pédagogue, il signale à de nombreuses reprises l’authenticité de certains faits. Il a lu les récits des chroniqueurs du XIIIe siècle : Pierre des Vaux-de-Cernay et Guilhem de Tudèle qu’il utilise pour le récit du siège de Termes ; Joinville dont il cite un passage sur Olivier. Il a lu aussi des œuvres des troubadours qu’on redécouvre à cette époque. Il insère ainsi plusieurs poèmes en occitan composés aux XIIe et XIIIe siècle. On trouve notamment plusieurs extraits du Roman de Flamenca, conservé à la bibliothèque de Carcassonne et dont il a certainement pris connaissance par l’édition qu’en a fait Paul Meyer en 1865. Il a lu enfin les ouvrages historiques disponibles à son époque : l’Histoire générale de Languedoc et le Cartulaire de Mahul où il a puisé la plupart des renseignements historiques sur son héros. Mais ses connaissances historiques reflètent évidement celles de la majorité des historiens et hommes de lettre de son époque : tout comme dans l’ouvrage de Quatresous de Parctelaine ou l’édition de la Chanson de la Croisade par Fauriel, cathares et vaudois ne sont pas différenciés et les aspects religieux des deux sectes complètement ignorés. Manifestement, Charles-Alfred Vidal n’a pas lu l’Histoire et doctrine de la secte des cathares albigeois de Charles Schmidt.

Vue du château de Termes vers 1906. (Carte postale de Michel Jordy. Bibliothèque municipale de Carcassonne.)

Vue du château de Termes vers 1906.
(Carte postale de Michel Jordy. Bibliothèque municipale de Carcassonne.)

     Le décor et l’intrigue s’éloignent plus de la réalité historique. Les titres nobiliaires, l’étiquette stricte de la cour, les intrigues et complots rappellent plus la cour d’Espagne du XVIe siècle telle qu’elle apparaît, par exemple, dans la pièce dramatique Ruy Blas de Victor Hugo, que la cour d’Aragon au XIIIe siècle. Le traitre de l’histoire, Montrègo rappelle don Salluste, Olivier, celui de Ruy Blas. Les danses espagnoles exécutées par Louise, la décoration mauresque de sa chambre à Carcassonne dénotent, enfin, un goût prononcé pour l’exotisme espagnol. Amour, complot, exotisme… il y a là tous les ingrédients du drame romantique.

Olivier de Termes, un héros libéral et nationaliste

    Cette vision anticléricale et romantique de la Croisade se complète d’une vision républicaine et nationaliste. La résistance héroïque des défenseurs de Termes face aux croisés supérieurs en nombre est comparée à celle des soldats défendant Paris face aux alliés en 1814. À plusieurs reprises revient dans le livre le mythe, maintes fois développé dans les ouvrages sur la croisade, de la civilisation tolérante et cultivée du Midi agressée par les barbares du Nord : « Ici, deux races bien distinctes étaient en lutte : les hommes du Nord, ceux qui parlaient la langue d’oïl, contre les hommes du Midi, parlant la langue d’oc. Le Nord avec sa barbarie et son ciel nuageux, contre le Midi, poétisé par son beau ciel, ses fleurs et les traces de la domination maure ». D’ailleurs, le sous titre du livre, Un épisode de la guerre des Albigeois, est un manifeste en ce sens. Il répond à l’article d’un historien catholique, Tamizey de la Roque, paru quatre ans plus tôt sous le même titre. Cet article contestait l’authenticité de la phrase « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens » prononcée par le légat lors du massacre de Béziers. Cette phrase, Charles-Alfred Vidal la tient pour historique car elle symbolise pour lui comme pour la majorité de ses contemporains la barbarie des croisés face aux Occitans. Bizarrement, on trouve aussi dans le roman quelques traces d’un antijudaïsme, assez commun à l’époque. Le juif Mosé qui empoisonne le fils d’Olivier, rappelle l’accusation d’infanticide portée depuis le Moyen Âge contre les juifs, mais aussi contre les cathares.

     La fin du livre montre le triomphe du Midi en 1224. (Aucune allusion n’est faite aux événements postérieurs montrant que la victoire des méridionaux n’a été que de courte durée). Ce thème permet de faire deux lectures de l’ensemble du livre. Le roman est une œuvre politique montrant que la France est en train de reconquérir la liberté qu’elle a perdue avec le coup d’état de Napoléon III. S’y mêle aussi un nationalisme occitan, montrant que le Midi va triompher sur le Nord. Olivier est le champion de la cause républicaine et occitane. C’est un héros de la liberté conforme aux aspirations libérales et nationalistes du XIXe siècle.

Termes (Aude). Campagne de fouilles de 2007 dans les bâtiments arasés des XIe et XIIe siècles, au sud de la chapelle du château royal. (Photo Charles Peytavie.)

Termes (Aude). Campagne de fouilles de 2007 dans les bâtiments arasés des XIe et XIIe siècles, au sud de la chapelle du château royal.
(Photo Charles Peytavie.)

Un roman oublié

     Le roman est publié en mai 1870 par deux éditeurs parisiens et imprimé à Carcassonne. Sa diffusion fut certainement limité et essentiellement locale. Néanmoins le premier tirage fut rapidement épuisé puisque une « seconde édition » est publiée la même année. Mais la guerre contre la Prusse qui commence en juillet, fait passer tout autre sujet au second plan et explique en partie que le roman soit passé plutôt inaperçu. À l’exception de la Fraternité, les journaux locaux et les revues littéraires n’en n’ont pas rendu compte. Cet échec est à mettre en parallèle avec le succès d’une autre œuvre, proche par son sujet, son caractère nationaliste et romantique : celle du pasteur ariégeois Napoléon Peyrat. L’Histoire des Albigeois, publiée entre 1870 et 1882 est une épopée occitane en prose où l’imagination l’emporte sur l’histoire. Mais le talent littéraire de Peyrat en fait un succès qui éclipse aussi bien le roman de Vidal que les travaux et romans déjà publiés sur la croisade. Désormais, avec Peyrat, l’histoire de la Croisade et du catharisme se focalise sur Montségur et son héroïne, Esclarmonde. Charles-Alfred Vidal tombe vite dans l’oubli. Seul un roman du carcassonnais Jean Girou publié en 1955 fait écho par son sous titre au roman de Vidal. Quant à Olivier de Termes, il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les historiens et romanciers recommencent à s’intéresser à lui.

Gauthier Langlois

Croisés et occitans s’affrontent en cours d’amour

     Dans son roman Olivier de Termes, un épisode de la Croisade contre les Albigeois, Charles-Alfred Vidal défend la civilisation du Midi, victime des croisés du Nord. Dans l’extrait ci-dessous il imagine une cour d’amour pour faire rencontrer tous les protagonistes de son histoire. Imprégné des idéaux romantiques, l’affrontement des troubadours est pour lui l’occasion de montrer la supériorité culturelle des Occitans sur le thème de l’amour. C’est aussi l’occasion de faire passer ses idées nationalistes et libérales : son héros, le jeune Olivier de Termes, y dénonce les traîtres et lance le signal de la libération du Languedoc autour de sa bannière. Si Vidal qualifie son héros et ses compagnons d’hérétiques, l’hérésie n’est pour lui qu’une des valeurs de la civilisation méridionale, dont l’aspect religieux est totalement ignoré.

Inédits et oubliés1

     Grâce au million d’écus d’or que le marquis de Montrègo avait versé dans ses coffres, Simon de Montfort se hâta de préparer les vivres et les munitions pour la campagne contre Beaucaire.

     Des courriers avertirent tous les seigneurs dont il avait reçu l’hommage, comme suzerain, de se rendre avec leurs gens à Carcassonne.

     Bientôt, de tous côtés, arrivèrent grand nombre de seigneurs suivis de leurs vassaux armés en guerre.

     Alors, pour épargner l’ennui de l’attente aux premiers arrivés, Montfort pria la comtesse Alix de tenir une cour d’amour.

     Les nobles châtelaines et les troubadours de la Provence et du Midi furent convoqués et s’empressèrent de se rendre à cet appel, car la cour d’amour était une occasion de grande liesse, magnificence et assauts de poésie galante. Les jongleurs montraient leur habileté, les troubadours leur science et leur amour poétique : et les nobles dames étaient heureuses d’être chantées par des amants souvent platoniques.

     Les murs se couvrirent de guirlandes de buis ; on ne voyait de tous côtés que dames arrivant sur de belles haquenées, menées en laisse par de jeunes pages vêtus de soie ; partout les bannières, aux armes des seigneurs, flottaient dans l’air. Les bourgeois et les bourgeoises des bourgs étaient accourus dans leurs plus beaux habits ; les uns chantaient, riaient, jouaient, dansaient, les autres tiraient à l’arc, à l’arbalète, préludant ainsi à la grande journée.

     Enfin, deux hérauts d’armes annoncèrent que la cour entrait en séance.

     Dans la cour du château, une estrade, élevée en gradins, recouverts en velours, permit aux curieux de s’asseoir à leur aise.

     Ce fut un spectacle magique. Les grandes dames étaient assises aux côtés d’Alix. Le velours, le brocart, les corsages d’hermine couturés de perles, les chaperons ornés de diamants les faisaient reines par la richesse sinon par la beauté.

     Les troubadours arrivèrent ensemble, suivis par des pages portant les lyres, les harpes, les guitares. On les accueillit par un hourra prolongé.

     L’un d’eux, Béranger de Palazol, prit la parole et demanda entière et pleine liberté pour les chants, et promesse de laisser libre le Trouvère trop hardi dans ses paroles.

     La comtesse Alix répondit, au nom des dames et des seigneurs, que nul ne toucherait du doigt le troubadour oublieux de la galanterie.

     La lutte commença.

      […] Plusieurs poètes chantent l’amour de leur dame.

     Pierre Vidal se leva… Il avait un nom populaire, était fils d’un marchand pelletier de Toulouse. On savait qu’un chevalier de Saint-Gilles, jaloux et puissant, lui avait fait couper un morceau de la langue ; que, guéri par les soins de Hugues de Beaux, il s’en alla en Chypre et en ramena une grecque qu’il épousa.

     On lui fit accroire qu’elle était la nièce de l’empereur de Constantinople. Il se persuada si bien ces chimères qu’il eut la folie de prendre les armes impériales, d’équiper quelques barques pour aller conquérir le trône de son prétendu oncle. Après diverses aventures, le roi d’Aragon le prit sous sa protection et l’obligea à se réjouir et à faire de nouvelles chansons.

     Pierre obéit et se déclara le poète d’Étiennette, femme du seigneur de Pennautier. On la nommait la Louve de Pennautier ; il prit le nom de Loup et en mit un dans ses armes.

     Étiennette était présente.

     Se tournant vers elle, d’une voix harmonieuse et belle, il chanta en s’accompagnant de la harpe :

     […] Suit la version occitane du poème traduit ci-dessous.

     « Sa joue est si fraîche de coloris, son regard si doux, sa voix si harmonieuse que la plus belle et la plus méritante en est muette et surprise.

     La vite couleur de son visage qui brille et croit toujours plus couvre et efface la beauté d’autrui.

     Dieu qui la fit si gentille n’économisa rien. Elle plaît et agrée toujours plus à ceux qui la voient et l’entendent.

     Quand les dames louent sa beauté vous pouvez être sûr qu’elle est belle, car, par le monde, il n’y en a pas trois dont on loue la beauté sans restriction.

     Pour elle, nul ne peut la blâmer ne trouvant rien à redire… Et si on le pouvait, soyez sûr qu’on n’y manquerait. »

     Le poème fut long… j’en passe… Des applaudissements prolongés accueillirent ces vers qui peignaient si poétiquement la beauté reconnue d’Étiennette, la Louve de Pennautier.

     Pons de Capdueil fut vaincu et eut la courtoisie de serrer la main à Pierre Vidal regagnant son tabouret de brocart.

Inédits et oubliés2

     Ensuite, les Carcassonnais virent s’avancer un beau jeune homme ; à peine si un léger duvet ombrait sa lèvre supérieure. Le manteau de velours qui se plissait gracieusement sur ses épaules n’avait point d’écusson et cependant c’était un Trencavel. Il avait vendu, ainsi que sa mère Agnès de Montpellier, tous ses droits sur les vicomtés de Béziers et de Carcassonne ; mais les cœurs lui étaient restés.

     Jeune, encore plein d’illusions et d’espérances, il aimait Dias de Muret qu’on venait de marier à Bernard de Comminges. La jeune et belle Dias l’aimait, et quand, pour obéir à son père, elle dut oublier son amour, elle envoya au jeune Trencavel des vers d’adieu peignant l’état de son âme.

     Amant désespéré, il les chanta devant celle qu’il avait perdu.

La nueg ven, pois le jorn renais
È no s’pot meillora mon dol,
Car es de mon cor lo trandol
Tal que non pot tornar gais.
É tan mot es el sieu duelh,
Que lo valem è ric capduelh
Li pareis amara priso
Ou na que clam è languiso.

En prat verdene, herbas è flors
An nascut, è li auzels gentils,
En grand alegrier subtils,
Miels qu’om del mon sou cantadors ;
Tug cad’an al senhoreatge
Volentiers fan lor vasselatge,
Mas solas non es plus tornat
En cor malament enganat.

Inédits et oubliés3

     « La nuit vient, puis le jour renaît, mais mon mal ne peut s’apaiser, car mon cœur est si chagrin qu’il ne pourrait redevenir gai, et mon deuil est si grand que le superbe et riche château me parait une sombre prison où l’on n’a que plaintes et ennuis.

     Dans le pré verdoyant, herbes et fleurs sont nées, et les petits oiseaux chantent mieux qu’aucun homme du monde ; tous, chaque année, font volontiers hommage à la seigneurie ; mais la joie ne saurait revenir dans mon cœur méchamment trompé… »

     Rougissante, enivrée par le souvenir de son amour, la belle Dias de Muret jeta un bouquet de roses au jeune Trencavel, qui le ramassa, à genoux, et le porta à ses lèvres avant de le placer sur son cœur.

     On vit entrer un Trouvère inconnu, de haute taille, bien fait, au regard jeune et puissant, portant avec distinction un costume de velours noir à broderies d’argent ; il s’avança au milieu de la lice et s’inclina devant l’assemblée.

     — Étranger, que voulez-vous ? demanda un héraut d’armes.

     — Chanter et gagner le prix, répondit-il d’une voix harmonieuse.

     Trencavel s’était arrêté et attendait. Seigneurs et bourgeois regardaient, étonnés, cet inconnu de si belle prestance.

     — Au dernier arrivé, dit le Troubadour, le droit de chanter de suite. Je vais commencer.

     C’était bien simple cela, et, cependant, un frémissement courut dans la foule. On pressentait un drame. Par moments, l’air qu’on respire a un je ne sais quoi qui vous saisit et vous serre le cœur, et l’on avait vu le regard que le Trouvère avait jeté sur le jeune Trencavel.

     Il commença :

Non es oi res mais fins baratz
Car si conseil neis demandatz,
Non trobarès qui ja I vos don
Si non i conois le sien pron,
O’l pron que es de son amic
O’l dan qu’es du son ennemic.

     « Il n’est aujourd’hui autre chose que tromperie, car si vous demandez conseil, vous ne trouverez jamais qui vous le donne, s’il n’y connaît un profit pour lui et son ami ou un dommage pour son ennemi. »

     C’était bien commencer. Celui-là ne venait point chanter les belles, l’amour heureux ou malheureux.

     On attendait. La voix ardente et sonore dit : la gloire des combats, la valeur courtoise des chevaliers… Puis s’adressant à Trencavel :

     — Honte soit à toi, Trencavel, fils d’un vaillant, qui, sans honte, oublies ton père mort empoisonné et ton héritage dilapidé.

     Honte à jamais sur toi qui oses venir chanter l’amour là où tes aïeux commandaient.

     Honte aux vainqueurs dont les mains sont teintes du sang des vaincus ; honte aux vaincus qui pour sauver leur tête ont préféré la courber.

     Une voix l’interrompit pleine de fièvre et de haine : — Montfort ! disait-elle, le Trouvère est Olivier de Termes, un hérétique, un traître.

     — Lequel de nous deux, Montrègo ? répondit Olivier, car c’était lui.

     Les archers, les chevaliers amis de Simon mirent l’épée à la main et allaient s’élancer, lorsque la Louve de Pennautier Étiennette, se leva et dit :

     — Le Trouvère est sacré ; félon sera celui qui osera l’approcher.

     Pierre Vidal, fidèle serviteur de sa dame ajouta : Nul n’oserait.

     Le comte Olivier était resté impassible, il reprit :

     — Le marquis de Montrègo, chevalier d’Aragon, a été publiquement déclaré traître, félon et foi-mentie par don Jayme, roi d’Aragon ; moi, comte de Termes, jette mon gant à Simon de Montfort, complice de Montrègo.

     Trencavel, ton père crie vengeance comme mon père ; je te convie sous peu de jours pour Beaucaire. Tu y seras.

     Comte de Montfort, partout où tu iras je te suivrai jusqu’à ce que l’un de nous succombe mortellement frappé. Et son gant vint tomber aux pieds du comte qui le ramassa et le leva devant tous.

     Pierre Vidal vit le marquis de Montrègo cherchant à barrer l’entrée de la cour avec les archers et en avertit Olivier, qui sourit et appela Trencavel.

     Le vicomte était à ses côtés, l’épée nue. Les deux jeunes gens s’embrassèrent.

     Termes ! Termes ! cria Olivier en tirant son épée. Ils s’élancèrent en avant.

     La foule criait, s’étouffait. Dans l’air, il pleuvait des gouttelettes de sang, Les gradins étaient brisés, s’effondrant sous la masse compacte, agglomérée des bourgeois. Et dans le tumulte on entendait une voix mâle qui disait :

     — Termes ! Termes !

     On ne voyait que des têtes, des épées.

     Étiennette de Pennautier, Dias de Muret criaient : Trahison ! Montfort a failli !…

     Le tumulte cessa. La porte était libre. Seigneurs, bourgeois et bourgeoises s’y engouffrèrent, passant sur le corps des archers de Montrègo.

     Du haut des remparts, on vit deux cavaliers courbés sur l’encolure de leurs chevaux rapides qui allaient vers Narbonne.

Extraits d’Olivier de Termes, un épisode de la croisade contre les Albigeois de Charles Alfred Vidal, 1870

     Les trois dessins du château de Termes illustrant les extraits de ce roman ont été réalisés sur les lieux par l’abbé Léopold Verguet, secrétaire de la Société des Arts et Sciences de Carcassonne, en 1853. Ils ont été publiés dans le volume 3 (1861) du Cartulaire et archives des communes de l’ancien diocèse et arrondissement administratif de Carcassonne de Jacques-Alphonse Mahul (1795- 1871).

Pour en savoir plus :

  • Cet article a été publié dans Histoire du catharisme. Le magazine des hérésies et des dissidences, n° 10, 2009, p. 32-35 et 44-47. Il s’appuie sur le dernier chapitre de la biographie d’Olivier de Termes que j’ai publiée en 2001 aux éditions Privat et dans laquelle on trouvera toutes les références aux sources.
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Un commentaire pour Charles-Alfred Vidal, un romancier méconnu de la Croisade contre les Albigeois

  1. Bonsoir,
    j’ai vu passer un « avis de recherche » sur le FB ‘Rene Nelli » au sujet de la famille de Charles Alfred Vidal; J’ai un peu remonté les ascendances et les VIDAL sont en fait le GUILHEM dit VIDAL, originaires de Preixan, les ASTRE sont de Rouffiac d’Aude, et François DARDE de Villagailhenc. Je n’ai pas eu le temps de remonter plus loin. Si cela vous interresse, je peux vous faire parvenir le resultats de ces recherches (pas ce WE, mais dans la semaine prochaine)
    J’en profite pour vous féliciter pour votre travail, que vous partagez, et que je lis avec toujours beaucoup de plaisir
    Catherine

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