L’auteur du premier attentat terroriste à l’aveugle de l’Histoire était le fils d’un audois, rédacteur du « Charlie hebdo » local.

L'attentat du café Terminus. La cible possède des similitudes avec celles des attentats du 13 novembre 2015.(Illustration publiée dans Le Globe illustré, 25 février 1894).

L’attentat du café Terminus le 12 février 1894. Les attentats du 13 novembre 2015 ont visé le même genre de cible : des terrasses de restaurants et cafés. (Illustration publiée dans Le Globe illustré, 25 février 1894).

     L’Histoire résonne avec la dramatique actualité de ces dernières années. Et en dernier lieu les attentats contre Charlie Hebdo en 2015 et ceux commis à Carcassonne, à deux pas du lycée où je travaille, le 23 mars 2018. Il n’est pas inutile de replacer ces attentats dans une perspective historique plus longue pour mieux comprendre les mécanismes de la radicalisation et mieux y faire face, mais aussi pour ne pas oublier que l’islamisme, c’est à dire l’Islam politique, n’est pas le seul mouvement a avoir généré des formes de radicalisation terroriste. Voyons ce peut nous apprendre l’Histoire d’une famille de militants républicains et anarchistes du XIXe siècle, les Henry.

Le fils : Émile Henry, auteur de l’attentat de l’hôtel Terminus

     On l’a un peu oublié mais l’Europe a été secouée par une importante vague d’attentats commis par des anarchistes à la fin du XIXe siècle. Parmi les victimes, plusieurs chefs d’état ou de gouvernement dont le président de la République française Sadi Carnot ou l’impératrice d’Autriche Sissi. Mais aussi des personnes choisies au hasard. Le 12 février 1894 à Paris un jeune homme est tranquillement attablé au café Terminus qui fait face à la gare Saint-Lazare. Soudain il se lève, lance en l’air une bombe et s’enfuit en tirant sur ses poursuivants. L’explosion fait un mort et une vingtaine de blessés. Les faits, relayés par la presse française et internationale suscitent une immense émotion. Pour l’historien américain John Merriman c’est le premier attentat à l’aveugle de l’Histoire.

Émile Henry photographié par l'identité judiciaire

Émile Henry photographié par l’identité judiciaire

     L’auteur de cet attentat est rapidement identifié. Il s’agit d’un jeune âgé de 21 ans nommé Émile HENRY. Son origine et son parcours surprennent : il ne correspond pas à l’idée que l’on se fait d’un terroriste. C’était un élève brillant, intelligent, ayant manqué de peu l’accès à l’École polytechnique. C’est le fils d’un ancien communard, nommé Fortuné HENRY et le frère d’un communiste célèbre, prénommé également Fortuné.
     Si les deux frères ont fait l’objet de plusieurs recherches historiques, la vie de leur père est resté longtemps dans l’ombre, connue seulement par les rumeurs rapportées par les historiens de la Commune ou les journalistes présents au procès d’Émile Henry. Pourtant sa vie a été déterminante dans le parcours de ses enfants.

Le père : Fortuné Henry, directeur d’un journal audois précurseur de Charlie hebdo

     C’est le hasard d’une recherche sur Dame Carcas qui m’a mis sur la piste du père, Fortuné HENRY. En 2010 un ami me communique une caricature de Dame Carcas extraite d’un journal satirique audois nommé Panurge. Cherchant en savoir plus sur ce journal je découvre, à travers son rédacteur Fortuné HENRY, une personnalité fort intéressante. Cela me permet l’année suivante de présenter une communication au colloque international sur la Commune, qui se tient à Narbonne. En attendant la publication de ce colloque qui se fait attendre, voici quelques éléments sur son séjour audois.

Panurge43

Dame Carcas, allégorie de la ville, se plaignant de l’absence d’égout à Carcassonne. Panurge n° 43, 15 septembre 1861. Dessin de Raymond Alary (?) lithographié par Cavaillez.

     Né en 1821 à Nîmes, Fortuné Henry est un autodidacte qui a exercé de nombreux métiers d’ouvriers et de bourgeois, tour à tour cordonnier, tailleur de pierres, directeur de mines, poète, journaliste, pédagogue, politicien… Il s’est battu toute sa vie pour les valeurs républicaines et la justice sociale. Opposant à Napoléon III, il fait plusieurs séjours en prison pour son militantisme politique. En 1859 il choisi de s’installer dans l’Aude où il n’est pas connu. Après s’être fait bien voir des autorités locales il y crée, en 1861, un hebdomadaire satirique illustré intitulé Panurge. À travers des caricatures, des articles et des poèmes à l’esprit rabelaisien il critique, avec beaucoup d’humour, la société carcassonnaise et française. Un journal qui mêle humour, caricature et critique politique, voilà qui préfigure en quelque sorte Charlie Hebdo. Grâce à ce journal Fortuné devient populaire dans les milieux socialistes et républicains audois. A titre d’exemple le musicien audois Paul Lacombe met en musique un de ses poèmes. Fortuné Henry ambitionne aussi une carrière politique. Mais ses critiques ne plaisent pas aux autorités. Il est condamné une première fois « pour injure publique » envers le directeur du théâtre, puis seconde fois « pour outrage et dérision envers la religion catholique ».

     Après avoir passé le mois de février 1862 en prison, il quitte Carcassonne pour Paris. Dans la capitale il noue des amitiés avec de nombreux opposants à l’Empire, dont Louise Michel et Marguerite Tinayre avec lesquels il fonde une coopérative affiliée à l’Internationale. Élu en 1871 à la tête du Xe arrondissement de Paris pendant la Commune, il milite longtemps pour la négociation avec les Versaillais avant de s’engager pleinement dans la défense du mouvement communal. « Il est resté légendaire par le soin qu’il prenait de sa personne et la correction de sa toilette au milieu des horreurs du siège » affirme un journaliste audois. Exilé en Espagne pour échapper à la répression versaillaise, il ne revient en France qu’à la faveur de l’amnistie de 1880 pour mourir deux ans après.

Une radicalisation des fils face aux inégalités sociales

     Ses deux fils ainés, Fortuné et Émile, héritent des idéaux politiques de leur père en faveur de la justice sociale. Mais instruits par l’échec des expériences du père, ils se radicalisent. Si l’ainé, Fortuné, choisit de faire passer ses idées par l’action militante au sein des courants anarchistes, le puiné choisit la « propagande par le fait », c’est à dire des actes terroristes destinés à appeler à la révolution.

Des points communs entre les radicalisations

     Un certain nombre de points communs peuvent être relevés entre le parcours d’Émile Henry et celle de terroristes issus d’autres mouvements politiques ou religieux, tel quel l’extrême droite, le nationalisme ou  l’islamisme. Le moteur de radicalisation est souvent le sentiment que la société est injuste et qu’elle ne peut être changée que par la violence. Le moyen d’action, l’attentat, n’est pas toujours ciblé vers une catégorie déterminée telle que les forces politiques ou les forces de l’ordre. Car l’attentat à l’aveugle, plus facile à commettre, a également l’avantage de frapper davantage les esprits. Ainsi personne ne sent plus à l’abri. L’assassinat d’innocents est injustifiable. Mais il n’en est pas ainsi dans la logique des terroristes. Soit la victime est un ennemi qui mérite son sort. Soit, dans un renversement des faits, la victime est un martyr de la cause. Des objectifs similaires peuvent être également relevés entre les différentes formes de terrorisme. L’attentat est d’abord un acte de propagande qui permet de se faire connaître dans l’objectif de susciter des ralliements.

     Mais là s’arrêtent les comparaisons entre les différentes formes de terrorisme. Car les idéologies anarchistes, islamiques ou d’extrême droite, pour ne parler que d’elles, sont profondément différentes.

Pour en savoir plus :

  • Gauthier Langlois, « Fortuné Henry (1821-1882), itinéraire d’un communard méridional », La Commune de 1871 : une relecture, sous la direction de Marc César et Laure Godineau. [Actes du colloque tenu à Narbonne en mars 2011], Grâne/Ivry-sur-Seine : Creaphis éditions, 2019, p. 320-334.
  • Gauthier Langlois, « Les illustrateurs du journal satirique carcassonnais Panurge (1860-1862) : Jean-Bertrand Rouch, Raymond Alary, Oscar Avrial », Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, tome CXVIII, 2018, p. 195-198.
  • Gauthier Langlois, «Fortuné Henry», Le Maitron en ligne, Dictionnaire du mouvement ouvrier mouvement social, 2010.
  • Walter Badier, Émile Henry, de la propagande par le fait au terrorisme anarchiste, Éditions libertaires, 2007.
  • Gauthier Langlois, «Fortuné Henry», Wikipedia.
Cet article, publié dans Article d'histoire, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Un commentaire pour L’auteur du premier attentat terroriste à l’aveugle de l’Histoire était le fils d’un audois, rédacteur du « Charlie hebdo » local.

  1. Angelique dit :

    merci Gauthier pour ces informations historiques , je ne connaissais pas du tout

Laisser un commentaire